L'Instance a encore du temps avant d'être mise sur pied. Mais, déjà, on met en cause les mécanismes de son fonctionnement ... Et si certaines parties cherchaient à immuniser ses décisions contre toute forme d'opposition Bien avant son adoption par l'Assemblée nationale constituante (ANC) et dès le démarrage, hier, de sa discussion article par article, la loi organique portant création de l'Instance provisoire de contrôle de la constitutionnalité des lois semble provoquer, déjà, la controverse parmi les juristes et les acteurs du paysage politique national. C'est l'article 20 du projet de loi en question qui est l'objet de la discorde naissante. Cet article prévoit, en effet, que seuls les présidents de la République, du gouvernement et de l'ANC et 30 constituants au moins ont le droit de recourir à la future instance pour lui demander de statuer sur une loi quelconque et la déclarer anticonstitutionnelle. En plus clair, le citoyen ordinaire et les associations de la société civile n'auront pas la possibilité d'ester devant l'instance ou devant le Tribunal administratif pour s'opposer à une loi qu'ils estimeront contraire aux dispositions de la Constitution du 27 janvier 2014. Des compétences limitées Pour en savoir plus, La Presse a donné la parole à certains juristes leur demandant si cet article peut être révisé et si la future instance provisoire de contrôle de la constitionnalité des lois est en mesure de déclarer anticonstitutionnelles certaines lois en vigueur. Pour Amin Mahfoudh, expert en droit constitutionnel, «le problème réside dans les dispositions transitoires de la Constitution du 27 janvier 2014 qui interdisent à la justice (plus particulièrement le Tribunal administratif dans le but d'éviter la reproduction des conflits l'ayant opposé à l'ANC à propos de la constitution de l'Instance supérieure indépendante des élections) de se prononcer sur les lois qui émanent de l'ANC». La même source ajoute : «Toutefois, la future instance peut déclarer les lois existantes anticonstitutionnelles... Malheureusement, elles ne seront pas annulées. Quant au droit du citoyen ordinaire de recourir à la future instance pour que soit établie l'inconstitutionnalité d'une loi quelconque, le problème se pose réellement. D'après mes informations, l'Alliance démocratique a introduit une proposition que je considère comme très intelligente dans la mesure où elle appelle à accorder aux Tunisiens la possibilité d'ester devant l'instance, comme c'est le cas dans les pays démocratiques». Non à la violation du droit à l'opposition «Le droit d'ester devant la justice et d'introduire un recours d'opposition à n'importe quelle loi est un droit constitutionnel. Aucune loi ne peut l'annuler, sous aucune condition», précise Mokhtar Trifi, juriste et président d'honneur de la Ligue tunisienne de défense des droits de l'Homme (Ltdh). «J'ai le sentiment que les concepteurs du projet de la loi sur l'instance cherchent à s'immuniser contre toute opposition et à violer, peut-être sans le savoir, un droit constitutionnel, celui de recourir à la justice à laquelle doit revenir le dernier mot dans tous les cas», ajoute-t-il. Mokhtar Trifi revient à la jurisprudence née des ordonnances prononcées, déjà, par le Tribunal administratif, à l'occasion des différends ayant opposé les candidats à l'Isie récusés par la commission parlementaire de sélection des candidats. «Pour moi, l'article 20 du projet de loi sur l'instance, dans sa formulation actuelle, est purement et simplement contraire à la Constitution», conclut-il. La Constitution appartient à tous «La Constitution tunisienne appartient à tous les Tunisiens, sans exclusion ni marginalisation. Il est donc du droit de chaque Tunisien d'émettre son avis, en toute liberté, sur n'importe quelle loi et de recourir à la justice pour exercer pleinement son droit d'opposition à une loi qu'il considère comme anticonstitutionnelle. Limiter ce droit aux trois présidents et aux membres de l'ANC (30 constituants au moins) me paraît contraire au droit de la citoyenneté participative sur lequel se fonde toute expérience démocratique qui se respecte. Et je suis convaincu que les Tunisiens qui ont conduit la révolution de la liberté et de la dignité n'ont pas besoin de tuteurs qui parlent en leur nom et décident à leur place comme s'ils étaient incapables de s'assumer», souligne Noureddine Ben Ticha, membre du bureau exécutif de Nida Tounès.