Depuis l'auto-immolation de Mohamed Bouazizi, ce marchand en marge du système commercial conventionnel et réglementaire, les étals anarchiques poussent comme des champignons. Le commerce parallèle prolifère, nourri qu'il est par l'insécurité, le laxisme des autorités concernées et l'absence d'une stratégie à même de régler un problème aussi épineux que récalcitrant. Aujourd'hui, le gouvernorat de Tunis s'engage, dans l'élaboration d'une stratégie appropriée, à mettre un terme aux étals anarchiques dans le paysage urbain, lutter efficacement contre le commerce parallèle, sauver le commerce légal de la décadence à laquelle il est réduit depuis des années, et contribuer à la reprise économique. M. Fakher Gafsi, gouverneur de Tunis, révèle, dans cet entretien à La Presse, les grands axes de cette stratégie. Le phénomène des étals anarchiques s'amplifie au fil des ans. Après les événements du 14 janvier 2011, nous observons une sorte de légitimité symbolique du clandestin. Comment expliquez-vous cet état ? Il faudrait mettre le problème dans son contexte. Le commerce parallèle se propage tel un fléau. Il accapare jusqu'à 50% de l'économie nationale. D'autant plus que l'économie n'en tire aucun profit, puisqu'il s'agit d'un circuit et d'une activité parallèle, et par conséquent, illégale, clandestine, n'obéissant à aucune loi et hors de tout contrôle. Contrairement aux commerçants conventionnels et légaux, les marchands clandestins ne paient pas de taxes, ni de TVA. Leur gagne-pain n'a aucune valeur ajoutée à l'économie nationale, bien au contraire. Le commerce, l'économie et la santé du consommateur en souffrent. En réelle gangrène pour l'économie nationale, le commerce parallèle est source de pollution et d'atteinte à l'esthétique urbaine. La capitale étouffe sous les étals des marchandises de provenance et de qualité douteuses, mais aussi sous les déchets que laissent derrière eux les marchands à la fin de la journée. La municipalité déploie, quotidiennement, un effort supplémentaire pour soulager les rues adjacentes à l'avenue Bourguiba des tonnes de déchets en plastique et autres. Ce phénomène est devenu tellement omniprésent dans notre quotidien, qu'interdire les étals anarchiques ou les éradiquer serait considéré, par les marchands clandestins, comme une injustice à laquelle il convient de remédier au plus vite via une solution satisfaisante, taillée sur mesure et répondant aux caprices desdits marchands. Pour l'administration, le problème n'est pas perçu sous le même angle. L'Etat vise à mettre un terme à une situation le moins que l'on puisse dire, chaotique, éradiquer les étals anarchiques, combattre le commerce parallèle et ses circuits et préserver l'intérêt des commerçants légaux dont le gagne-pain devient de plus en plus menacé par le commerce parallèle. Quelle est la solution envisagée par le gouvernorat pour résoudre ce problème ? Nous n'avons d'autre choix que d'intégrer ces commerçants dans le circuit économique réglementaire. C'est, en quelque sorte, un mal nécessaire afin de sauver la mise. Une solution bien conditionnée. Les marchands clandestins sont appelés à se soumettre aux critères et aux principes du commerce réglementé. L'Etat cherche à trouver des solutions, non pas pour servir l'intérêt des commerçants clandestins, mais pour remédier aux effets fâcheux du commerce parallèle sur l'économie, sur le commerce et sur la société. Il est nécessaire de trouver un espace adapté pour abriter les commerçants clandestins ; voire un local qui regrouperait les commerçants dont les noms figurent sur la liste arrêtée en 2012 à cet effet. Cela dit, ils devront payer le loyer en bons citoyens. D'un autre côté, ils devront prouver la provenance et la qualité des marchandises qu'ils proposent à travers des factures fiables et des normes sanitaires certaines. Le gouvernorat de Tunis se penche sur la réalisation de ladite stratégie. Pour nous, il est plus judicieux d'opter pour une solution durable que pour des interventions sécuritaires. Toutefois, l'incident qui a eu lieu, mercredi dernier, à la Place-Barcelone nous a incités à urger les interventions sécuritaires et l'interdiction immédiate des étals anarchiques. L'agression faite à l'encontre des agents municipaux prouve que les commerçants clandestins se considèrent comme étant au-dessus de la loi et de l'Etat. D'ailleurs, ils ont formé un syndicat intitulé le syndicat des commerçants indépendants ! C'est-à-dire des commerçants qui ne se soumettent ni à l'Etat ni à la loi ! Quels sont les volets de cette stratégie ? La stratégie, en cours de réalisation, comprend trois volets : il convient, d'abord, d'étudier de près la situation des commerçants réglementaires, dont l'activité et le gagne-pain ont été fragilisés à cause du commerce parallèle. Ces commerçants contribuent à l'économie nationale. Il ont le plein droit d'être épaulés et protégés contre ce fléau. Puis, nous n'avons d'autre alternative que d'intégrer les commerçants clandestins dans le circuit économique et de les soumettre aux règles et à la loi. Pour ce, nous nous penchons sur la recherche d'un local à même de les abriter. Pour le moment, nous avons examiné plusieurs locaux situés au centre-ville de Tunis. Cependant, une fois le local choisi, les commerçants clandestins ne seront pas en mesure de donner leur avis ou d'objecter sur la décision des parties concernées. La décision sera strictement réservée aux parties concernées, notamment le gouvernorat de Tunis, la municipalité et le ministère du Commerce. Il faudrait aussi préciser que la liste des bénéficiaires a été arrêtée en 2012. Inutile donc, pour les marchands clandestins émergeants de demander cette faveur. Il est grand temps de faire régner la loi. L'intérêt de l'Etat et de la société sont des intérêts suprêmes. Toute menace susceptible de nuire à ces intérêts est à pénaliser. D'ailleurs, si jamais nous mettons en place un local, tout étal anarchique implanté ultérieurement sera éradiqué dans l'immédiat. Quand est-ce que cette stratégie sera prête à être appliquée ? D'ici la fin de l'année.