L'ancien local de la STD, situé à l'avenue de Carthage, semble filer entre les mains des commerçants clandestins. Ces derniers ne sont pas près à céder leur droit à un local leur assurant travail et dignité. L'impérative organisation et réglementation du commerce parallèle, et plus exactement de l'activité des commerçants clandestins à Tunis, demeure jusqu'à nos jours irrésolue : pour l'Etat, ce domaine anarchique vient contrecarrer la dynamique économique du commerce et joue au détriment du produit tunisien. Sa réglementation s'avère être un mal nécessaire, afin de préserver le gagne-pain de quelque 500 familles. Pour les commerçants clandestins, cela va de leur survie et de la pérennité d'un métier datant de plusieurs décennies. Le compromis sur la mise en place d'un local à même de regrouper tous ces commerçants a été conclu depuis 2011. Sa concrétisation se laisse toujours attendre. Entre-temps, la police municipale et les commerçants continuent, journellement, de jouer au chat et à la souris. La violence verbale et physique fait partie de leur quotidien. Il faut dire que le phénomène des étals anarchiques ne date pas d'hier. Toutefois, en s'immolant, Mohamed Bouazizi a donné une certaine sacralité à ce métier hors la loi. Depuis les événements du 14 janvier 2011, de nouveaux commerçants clandestins ont germé comme des champignons, rivalisant ainsi avec ceux actifs depuis des décennies. Les avenues et les rues de la capitale se sont ainsi trouvées envahies, voire étouffées par les étals anarchiques proposant des produits bas de gamme dont des produits made in China. Cette évolution avait ipso facto intrigué les parties concernées qui se sont mises d'accord, ainsi que le syndicat des commerçants indépendants sur le choix d'un local à même de regrouper les 500 commerçants clandestins actifs à Tunis et soulager ainsi le paysage urbain du chaos des étals : le parking situé à la rue Mokhtar Attaya représentait alors la solution au problème; une idée vite contestée par les commerçants du Central Park. Puis, il était question d'accorder aux commerçants clandestins l'ancien local de la STD. Des mesures ont été alors prises et des travaux entamés afin de rénover le local et de l'ajuster aux besoins des nouveaux occupants. Aujourd'hui, ce compromis est suspendu, et ce, à la grande déception des commerçants clandestins. «Les travaux de la STD ont été interrompus depuis le 15 janvier 2012. Nous avons protesté contre ce fait surtout que des moyens financiers intéressants sont disponibles pour mener à bien le projet. En effet, une enveloppe de 2,5 MD a été consacrée par le gouvernorat de Tunis à cet effet. D'autant plus que nous avons pu bénéficier de quelque 1,5MD de la part du ministère du Développement; soit quatre millions de dinars en tout, ce qui est énorme. Certes, le coût du projet s'élève à sept millions de dinars. Toutefois, cela ne justifie aucunement l'arrêt des travaux», explique M. Moez Aloui, président adjoint du syndicat des commerçants indépendants. Promesses non tenues, décision de demi-mesures et violence Et d'ajouter que les 500 commerçants clandestins ne sont pas près à sacrifier le droit de bénéficier du local surtout après les innombrables promesses faites par bon nombre de hauts responsables. D'ailleurs, des réunions avec M. Rached Ghannouchi ainsi qu'avec les responsables de l'UGTT sont prévues pour cette semaine. Entre-temps, les commerçants clandestins peinent à gagner leur pain quotidien, surtout en ce mois saint. La semaine passée, une décision a été prise par la police municipale, leur interdisant d'exposer leur marchandise au delà de 13h ainsi que le soir. Et afin de mieux faire appliquer cette décision, des brigades s'activent chaque jour pour faire évacuer la rue Charles de Gaule, la rue d'Espagne ainsi que les autres rues touchées par cette activité des étals qui les jonchent. Kamel est un commerçant clandestin depuis près de 30 ans. Il a choisi la rue de Rome pour dresser un étal où il propose des tee-shirt en coton, made in Tunisia, qu'il vend à six dinars la pièce. Père de trois enfants, il a pourtant préféré rester à la maison durant la première semaine du mois saint. «J'ai peur d'être emmené en taule en ce mois de jeûne», avoue-t-il non sans amertume. Comme bon nombre de commerçants clandestins, il a passé sa vie à cadencer son quotidien entre le fait de crier sa marchandise et fuir les brigades de contrôle. «Nous vivons au rythme de la provocation et de la violence verbale et physique. Personnellement, j'attends avec impatience le jour où l'on bénéficiera d'un local où nous pourrons travailler en toute tranquilité. Des rumeurs courent sur l'éventuelle exploitation de l'ancien local de souk Moncef Bey. Je croise les doigts», renchérit-t-il. A la rue Charles de Gaule, les commerçants clandestins semblent être tétanisés par l'invasion des brigades de contrôle. Marouane propose des porte-feuilles d'imitation. Il évoque l'acharnement des brigades de la police municipale la semaine dernière. «C'était phénoménal! La police n'a jamais été aussi agressive. Les agents ont arrêté mon frère pour atteinte aux mœurs», indique-t-il. Un avis que partage Amor, 25 ans de carrière à la rue Charles de Gaule. «Après la révolution, l'acharnement de la police municipale contre les commerçants clandestins a repris de plus belle. La saisie de la marchandise fait monnaie courante. Pour la reprendre, nous sommes amenés à payer une amende de 5Dt par jour. Le pire c'est qu'une bonne partie de la marchandise est pillée par je ne sais qui», souligne notre interlocuteur. Pour Béchir, à peine dix-huit printemps, le monde du commerce parallèle semble touffu de violence et d'injstustice sociale. «La journée démarre avec la peur de voir sa marchandise saisie par la police municipale, la peur d'être agressé. En ce ramadan, les choses se compliquent davantage surtout après la restriction de notre travail à deux heures seulement, soit de 11h à 13h. Or, nous avons besoin de travailler davantage et de profiter de l'ouverture des boutiques le soir», renchérit Béchir. Du côté des légitimes concurrents des commerçants clandestins, à savoir les commerçants, la situation est à cheval entre gêne et compassion. Pour S, une commerçante spécialisée dans la vente des articles de lingerie, l'Etat est appelé à faire preuve de plus de rigueur et de résoudre le problème à la base. «On en a assez de voir des produits similaires à ceux que l'on propose joncher le seuil de nos boutiques et se vendre à des prix nettement moins chers. La concurrence est rude et illégale. Il est temps de stopper ce phénomène par une prise de décision irrévocable», souligne-t-elle. Pour Chokri, commerçant de chaussures, l'ambiance à la rue Charles de Gaule est synonyme de brouhaha et de chaos qu'il convient d'organiser. «Si seulement ils arrivaient à s'organiser de telle sorte à laisser les devants de nos boutiques accessibles, les choses iraient mieux», souligne -t-il.