• Grève de certains commerçants permanents du centre-ville - Sur les colonnes du journal Le Temps nous avons, à maintes reprises, attiré l'attention des autorités municipales de la capitale sur les problèmes engendrés par le marché parallèle et les vendeurs de rue. Mais leur réaction fut molle et très sporadique. Aujourd'hui, et à la faveur d'un relatif relâchement du contrôle, le nombre des étals anarchiques a excédé les limites du supportable. Nous reconnaissons le droit légitime de chacun au travail et au revenu, mais à condition de l'obtenir par les voies légales et sans nuire aux droits des autres. Il est vrai que la première étincelle de notre révolution fut déclenchée par un marchand de rue ; c'est pour cela que nous ne souhaitons pas de voir les vendeurs ambulants défigurer le symbole très noble que Bouazizi a incarné et incarnera pour très longtemps. Ceci dit, les autorités municipales de toutes les villes tunisiennes sont appelées à trouver le plus tôt possible une solution définitive au problème social et économique des vendeurs de rue ! Qui est derrière l'appel à la grève ? Hier matin (mercredi 16 février), sur les trottoirs de l'Avenue de France et ceux de l'Avenue Habib Bourguiba les étals des marchands de rue qui avaient proliféré ces derniers jours, ont presque tous disparu. En revanche, la bousculade entre ces vendeurs est désormais monstre du côté des rues de Charles de Gaulle, d'Espagne et de Jamel Abdennasser. Mais cette solution provisoire ne semblait contenter personne ni parmi les marchands ambulants ni parmi les commerçants permanents des trois artères citées. Ces derniers ont en effet déclenché une grève de deux heures (de 10 heures à midi) en réponse à l'appel lancé par un certain « Comité provisoire de défense du consommateur ». Nous avons pu obtenir une copie de ce communiqué qui ne porte aucun cachet et dont les signataires protestent contre les dirigeants de l'UTICA et contre le laisser-aller de l'Administration face au commerce parallèle et aux étals anarchiques. On y demande également l'organisation de l'importation des marchandises pour lutter contre la contrebande et le marché noir et l'assainissement des circuits de distribution au niveau de la vente en gros et en détail. Une autre revendication du comité concerne la promulgation d'une amnistie fiscale qui exonèrerait les commerçants de tous les impôts précédents, tous indus selon les auteurs de l'appel à la grève. Divergences sur le commerce anarchique Nous nous sommes entretenus avec l'un des commerçants de la rue Charles de Gaulle qui a choisi d'ouvrir sa boutique en dépit du communiqué. « Tout d'abord, je ne peux pas me conformer à un appel à la grève qui ne porte le cachet d'aucune instance reconnue. D'autre part, qui a créé ce « comité provisoire de défense des commerçants » et qui sont ses membres ? Je soupçonne une manœuvre des commerçants partisans du R.C.D. et du président déchu lesquels cherchent à semer le chaos dans le pays. Ils ont essayé de le faire dans plusieurs secteurs de la vie politique, sociale et économique du pays. Maintenant, ils se tournent vers nous les commerçants pour exécuter leurs plans déstabilisateurs. Et à supposer que l'appel à la grève soit lancé par des commerçants soucieux de préserver leur source de revenu, pourquoi ne se manifestent-ils que maintenant alors que les problèmes qu'ils dénoncent sévissent depuis des années. Les étals des vendeurs à la sauvette qui jonchent les trottoirs c'est devenu une réalité avec laquelle les commerçants en boutique composent sans que cela ne crée de véritable préjudice. Certes, il y va de l'esthétique et de la propreté de notre ville, mais il suffit de mettre de l'ordre dans l'implantation des marchands de rue pour que l'anarchie cesse. Cela dit, l'afflux excessif des vendeurs à la sauvette que nous déplorons ces derniers jours est dû à l'absence provisoire de contrôle et nous devons supporter ensemble les conséquences de cette prolifération temporaire. » Un autre commerçant qui a choisi pour sa part de fermer boutique considère que le problème des vendeurs à la sauvette ne sera jamais résolu : « Que peut-on faire contre des milliers de jeunes venus de toutes parts investir les lieux et contrevenir à tous les règlements municipaux. J'ai même la certitude qu'ils sont de mèche avec certains agents contrôleurs qui les laissent faire. Je fais la grève non pas pour répondre à l'appel lancé par le comité provisoire de défense des commerçants, mais parce que les autorités ne réagissent pas vraiment pour endiguer le fléau des vendeurs de rue. Des centaines d'intrus L'un de ces vendeurs à qui nous avons demandé de nous expliquer la prolifération soudaine des étals anarchiques dans les artères centrales de Tunis a répondu : « Ils viennent de partout maintenant parce que le contrôle est quasi absent. Même les commerçants réguliers de la Médina installent leurs étals en centre-ville. Des marchands de Mellassine et de plusieurs autres quartiers populaires ont fait de même. Avant, nous n'étions pas plus de 20 sur la rue Charles de Gaulle, à présent ils sont des centaines à nous faire la concurrence. La solution idéale serait bien sûr d'organiser le marché parallèle. Je suis d'accord pour payer une taxe à la municipalité contre le droit de m'installer dans un petit local propre et esthétiquement convenable ici ou sur l'Avenue principale ou ailleurs. Rappelez-vous qu'il fut un temps où les cireurs avaient chacun son coin devant les arcades de l'Avenue de France. C'était propre et présentable. Il faudrait peut-être s'inspirer de cet exemple pour mettre de l'ordre dans notre commerce. Nous ne voulons pas défigurer la capitale comme certains vendeurs ambulants le font ces derniers jours. Les contrôleurs municipaux sont capables de dénicher les intrus parmi nous. Solution provisoire Nous sommes justement allés interroger deux des agents municipaux chargés mercredi matin de sévir contre les commerces anarchiques sur l'Avenue Habib Bourguiba et l'Avenue de France : « Comme vous le constatez, nous répondirent-ils, nous sommes plusieurs à surveiller les lieux ; mais le refoulement des marchands du côté de la rue Charles de Gaulle et de la rue d'Espagne n'est qu'une solution provisoire. Nous allons sélectionner quelques uns parmi les vendeurs pour rencontrer le maire de Tunis et s'entendre avec lui sur une répartition plus organisée des étals sur divers points de la capitale, de manière à faire définitivement cesser l'anarchie que le marché parallèle a générée récemment. » Reportage de Badreddine BEN HENDA