«Ces attaques étaient pourtant prévisibles et ont été prévues. Elles sont néanmoins glaçantes, parce qu'il n'y a plus de cibles» «J'ai donné à mon fils un ticket pour la mort, je voulais juste lui offrir un billet de spectacle», ainsi s'est exprimé une mère qui a vu son fils périr au Bataclan, salle de spectacles au 11e arrondissement, là où il y a eu une prise d'otage sanglante, là où la BRI (Brigade rapide d'intervention) a donné l'assaut, là ou le bilan des victimes est le plus lourd, parce que c'est là où on a tiré à la kalachnikov dix bonnes minutes non-stop. Vendredi 13, Paris a brûlé sous les tirs d'attaques simultanées, dans sept endroits différents, au cœur de la capitale et la périphérie nord. Les photos et les vidéos évoquent plutôt des scènes de guerre, par l'ampleur, le nombre de victimes, par la logistique déployée et le niveau d'organisation. Mais, une guerre entre un belligérant préparé contre un autre pris par surprise. En train de dîner, de boire un pot, c'est vendredi soir, des femmes et des hommes, des jeunes surtout, et peut-être des enfants, dont la vie s'est arrêtée net à cet instant absurde sous les cris « d'Allah Akbar » ou « pour la Syrie ». Ils étaient au mauvais endroit au mauvais moment. C'est sans précédent dans l'histoire de la France. 129 morts avec un bilan appelé à s'alourdir. Parmi les 352 blessés, dont plus de 90 sont en «situation d'urgence absolue». Tunisiens de France Le taux le plus élevé de la diaspora tunisienne est installée en France. Et des milliers de jeunes étudiants choisissent chaque année l'Hexagone pour y faire ou poursuivre leurs études. Pourquoi la France ? Parce que c'est proche, parce qu'on connaît la langue, parce qu'on a quelqu'un là-bas, parce que «Paris est la plus belle ville du monde». Parmi ces jeunes, un groupe d'étudiants, partis tous ensemble après des études brillantes à l'Insat de Tunis, pour préparer des masters en comptabilité, en biologie, en mathématiques. Ils habitent en colocation au XIIIe arrondissement, non loin de la Bibliothèque François-Mitterrand. Soumaya, Cyrine, Molka et Ahmed sont sous le choc. Harcelés par leurs familles qui leur ordonnent de ne pas sortir, ils affirment qu'ils vont «bien», façon de parler. Contactée par La Presse, Cyrine raconte qu'elle faisait une ballade avec une copine non loin du 11e, lorsqu'elle a appris la catastrophe, elle prend ses jambes à son cou et laisse sa copine derrière elle, qui rentre de son côté. Somaya, fragilisée, confie-t-elle, parce que portant le voile, pense rentrer au pays, «avant même ces attentats, je subis régulièrement dans le métro, des regards ou carrément des remarques désobligeantes, cela risque d'empirer», a-t-elle regretté. «Nous avons connu cela en Tunisie, rappelle Ahmed, il faut continuer à se battre, la roue tourne, un jour ils gagnent un jour nous gagnons». «Ils» renvoie aux terroristes, ces apatrides qui massacrent tout le monde ici, bas pour gagner, disent-ils sûrs d'eux, l'au-delà. Molka confie être dans un état de choc, mais ne rentrera pas, c'est décidé, elle continuera ses études. Petit changement de programme, tout de même. En période d'examen, ils avaient tous prévu de passer la journée à la bibliothèque, ils sont restés terrés chez eux pour essayer, autant que faire se peut, de réviser et se rassurer les uns les autres. Des réactions Au cœur même des attaques, la réaction des autorités françaises est remarquable. François Hollande s'est exprimé avec force et sang froid pour décrire une situation telle qu'elle est, pour rassurer mais surtout pour montrer de la fermeté. Morceau choisi : «Dans ces moments si difficiles, la France doit être forte, et les autorités de l'Etat fermes, nous le serons... Il y a effectivement de quoi avoir peur et il y a l'effroi, mais face à l'effroi, il y a une nation qui sait vaincre», voilà qui est dit. Une autre réaction de Khadija Mohsen-Finan, Tunisienne universitaire installée à Paris, qui livre à notre journal une réaction à chaud empreinte de beaucoup d'émotions, et pose en même temps des questions de fond : «Nous sommes dans la stupéfaction après cette nuit de folie meurtrière. Ces attaques étaient pourtant prévisibles et ont été prévues. Elles sont néanmoins glaçantes, parce qu'il n'y a plus de cibles, ce sont tous les Français qui sont visés où qu'ils soient, parce que les assaillants ou certains d'entre eux sont Français et vivent parmi nous, parce que contre ce monstre, les moyens conventionnels ne sont pas adaptés et enfin parce que l'extrême droite française tire déjà profit de cette situation pour développer son discours haineux contre une partie de la société. Mais dans le même temps, nous nous interrogeons sur ce qui pourrait être la cause de cette nuit de terreur dont il est encore difficile d'imaginer les conséquences. On se demande si la France, qui est engagée contre le terrorisme jihadiste sur plusieurs fronts, est ciblée pour ce qu'elle fait ou pour ce qu'elle est. Dans tous les cas, sa stratégie militaire constitue-t-elle la réponse la plus adéquate à cette guerre menée contre un ennemi insaisissable ?». Revenu sur les attentats, le président français a donné une nouvelle déclaration hier matin pour dire en substance que c'est « un acte de guerre, commis par une armée de terroristes, préparé et organisé de l'extérieur». Il ne s'agit pas d'un loup solitaire mais d'une armée qui a préparé ses forfaits en toute impunité. Il y a de quoi se poser beaucoup de questions. Espérons que ne relevant pas du top-secret, les vraies réponses seront données.