Un work in progress qui implique citoyens, société et milieu carcéral. Comment un prisonnier peut-il narrer son expérience carcérale? Un exemple en a été donné mercredi dernier au Rio, avec l'événement « Réfléchir les images de la prison ». L'association française Les yeux de l'Ouïe est en quête d'autres regards, comme ceux des détenus sur le monde qui les sépare de nous. Avec la Ligue tunisienne des droits de l'Homme et la Fédération tunisienne des ciné-clubs (Ftcc), elle a mis en place le projet « Réfléchir les images de la prison », dont bénéficient des incarcérés à la prison de Mahdia et des jeunes du centre pour mineurs d'El Mourouj. Ils sont une douzaine et ils étaient dans la salle mercredi dernier. Entourés des gardes et des directeurs de leurs institutions, ils ont assisté à la projection de leur court-métrage Hikayat mel hit, un work in progress pour un long-métrage en préparation, nous explique Ramzi Laamouri, président de la Ftcc. Le work in progress concerne également le regard de la société et de l'institution sur ces détenus, qui doit évoluer pour les accepter et faciliter leur réinsertion dans la société. « Les citoyens et les associations doivent y contribuer», a insisté le responsable de la direction générale des prisons et de la rééducation en prenant la parole. Entre les murs, les détenus ont été pris en charge par le réalisateur Kamel Regaya. « Le projet dure depuis six mois. Nous avons commencé avec du théâtre en travaillant sur « La République» de Platon. Depuis deux mois, nous faisons des images », a-t-il déclaré après la projection de Hikayat mel hit. Dans ce récit fragmenté, chacun a mis une histoire qui lui est arrivée et qui ponctue son expérience en prison. Des témoignages sonores sur fond noir, une lumière traversée par une silhouette, une main... Des détails qui font la vie des prisonniers et qui s'érigent parfois en symboles. « Ce qui est à l'écran, c'est l'impact et le souvenir de ces histoires. C'est en même temps un regard sur l'isolement des Tunisiens, vu depuis une prison », explique encore Kamel Regaya. Tant attendue, la parole des faiseurs des images de Hikayat mel hit a enfin pu être entendue par les présents à la projection. Grand moment d'émotion, car leurs mots ont donné aux images la dimension d'un pont vers l'humain et la liberté dont ils sont privés. Naceur, détenu à la prison de Mahdia, a choisi de parler d'une vieille couverture qui ne le quitte plus depuis cinq ans. « Elle m'a enveloppé pendant ma grève de la faim qui a duré 41 jours, et pendant les moments difficiles», a t-il raconté. Dans sa contribution, il parle également d'un ballon de football, offert par son premier amour, rencontrée par hasard dans le parloir. Emouvant et ému aux larmes, il a su traduire la distance qui sépare encore les détenus de leur société. La soirée s'est terminée sur la projection du film Les quatre cents coups (1959) de François Truffaut. Son personnage principal Antoine Doinel, « délaissé par ses parents, est un adolescent taciturne qui s'ennuie au collège et fait souvent l'école buissonnière avec son copain René... ». Il sera enfermé dans un centre pour mineurs délinquants. Une fiction qui fait écho à l'expérience des prisonniers, qui ont témoigné du changement et de l'ouverture d'esprit que l'atelier « Réfléchir les images de la prison » leur a apportés. Ces images, nous l'espérons, seront une catharsis pour eux et un support pour un autre regard sur le milieu carcéral par toute la société.