Par Bady BEN NACEUR Longue vie à Jellal Ben Abdallah, le patriarche de Sidi Bou Saïd ! A l'âge de quatre-vingt-quatorze ans, cet artiste, qui n'a eu aucun autre métier que la peinture, est natif de la Médina de Tunis et il vit dans ce village, haut perché, depuis un demi-siècle débordé. Il en est même le chantre, le capteur des beautés patrimoniales inouïes qui sont à sa portée depuis sa villa, au jardin escarpé, qui trône sur le golfe de Carthage. Il a pour lui le Boukornine épuré et toute la sagesse zen qui confond cette montagne d'avec le sacro-saint Fuji-Yama. Ses miniatures débordent de cet esprit méditerranéen où le bleu outremer et turquoise, la nacre et le corail, les poissons rouges, les piments séchés, le coing et la grenade, les carreaux de céramique émaillés – à la façon de Sidi Kacem El Jelizi, enfin ces fenêtres ouvertes sur l'azur, qui sont les éternels motifs de sa peinture. Et puis, et puis surtout, encore et encore, la présence féminine qui trône dans ses grands formats, des beautés élevées à la totale pureté, dont son épouse et égérie — comme le fut Kerstin pour Aly Ben Salem, l'ami des belles années de Jellal Ben Abdallah —, que l'on voit dans ses costumes et apparats traditionnels, ses coiffures, ses métiers à tisser. Et puis encore tous ces personnages, ces habitants du village qui se confondent avec les mers de Sidi Bou Saïd et qui sont rehaussés à l'égal des divinités anciennes : pêcheurs mythifiés, artisans, cafetiers et ce temps arrêté dans ce haut lieu du soufisme en Méditerranée. Et il y a comme une odeur de sainteté qui les accompagne et qui est retransmise dans les œuvres de l'artiste : l'odeur de l'encens, les cinq prières du jour, la voix du muezzin, le soir tombé, la voix tout en douceur, la paix dans les cœurs, le sourire, signe de convivialité. Jellal Ben Abdallah fut déjà remarqué dans l'«Afrique littéraire» comme le peintre porteur d'espoir dans ce village où sont passés les plus grands artistes, penseurs et philosophes, romanciers et poètes du monde entier. André Gide et Paul Sebastian, Aly Ben Salem et Armand Guiber... Qui s'en souvient encore ? Ce village magnifié par cet artiste vivait alors sous le charme d'une surrection poétique qui en fit sa renommée en Méditerranée et partout ailleurs. A l'époque, feu Slaheddine Tlatli écrivait déjà sur lui, ceci : «Ben Abdallah est plus qu'un espoir. Il confirme déjà. Il étonne. Mais lorsqu'on connaîtra le tragique qu'il y a dans certaines de ses huiles, lorsqu'on lira ses poèmes en prose — si jamais ils sont publiés —, on comprendra la force et la plénitude qu'il y a dans le talent de ce jeune homme. On comprendra, en goûtant ses œuvres qui sont de la meilleure inspiration tunisienne, que la Tunisie est loin d'avoir abdiqué du poste important qu'elle a toujours occupé dans la civilisation méditerranéenne et orientale. Elle a parmi ses jeunes, des écrivains en arabe et en français, des peintres, des intellectuels, des artistes, des esprits scientifiques dont elle peut déjà être fière et qui affirmeront davantage leur valeur, lorsqu'ils pourront pleinement laisser s'épanouir leurs aptitudes». C'était écrit en 1944, lors de la période coloniale. On mesure aujourd'hui, après la révolution du 14 janvier, que l'esprit tunisien est toujours le même, invincible face aux destructeurs de telles évidences. Longue vie encore à Jellal Ben Abdallah et vive la Tunisie!