Enfin, les frères ennemis libyens sont parvenus à un accord de paix prévoyant la formation d'un gouvernement d'union nationale qui aura à conduire une étape transitoire de deux ans couronnée par des élections législatives Mise en place dans les quarante jours à venir d'un gouvernement d'union nationale, le parlement de Tobrouk deviendra la chambre des représentants, alors que celui de Tripoli prendra l'appellation de Conseil de l'Etat (le pouvoir législatif sera ainsi réparti entre les deux parlements), un conseil présidentiel de neuf ministres exercera le pouvoir exécutif, tels sont les grands axes de l'accord de paix signé hier, dans la ville marocaine de Skhirat, sous l'égide de l'Unsmil, la mission de l'ONU pour la Libye, entre les représentants des deux parlements siégeant actuellement à Tripoli et à Tobrouk. «C'est un accord historique», n'a pas manqué de souligner Martin Kobler, l'envoyé de l'ONU en Libye. Il couronne quatorze mois de négociations et ouvre «la voie à une transition économique pacifique en Libye». Selon l'accord, le gouvernement d'union nationale conduira une étape transitoire de deux ans qui sera couronnée par l'organisation d'élections législatives dont seront issus un gouvernement et un parlement stables. Maintenant que l'accord tant attendu est enfin signé, place aux interrogations que tout le monde se pose. Sera-t-il concrétisé effectivement sur le terrain quand on sait que quelque trois cents milices armées y imposent leur loi et que l'Organisation de l'Etat islamique «continue de consolider son emprise territoriale autour de la ville de Syrte, menaçant le croissant pétrolier avec un afflux constant de jihadistes étrangers venus de toute la région»? Quels dividendes pourra tirer la Tunisie de cet accord, surtout au niveau de la sécurisation de ses frontières avec la Libye ? La Tunisie saura-t-elle profiter du soutien que la communauté internationale promet d'apporter, selon l'une des clauses de l'accord, au gouvernement libyen d'union nationale, en matière de lutte contre les organisations terroristes sévissant sur le territoire libyen et de lutte également contre l'émigration clandestine ? Une autre question : comment va être matérialisé le soutien international promis au nouveau gouvernement libyen ? En plus clair, les nouveaux dirigeants libyens vont-ils donner le feu vert à une intervention militaire étrangère sur leur sol, sous couvert onusien comme ce fut le cas en 2011 par le biais de la fameuse résolution onusienne n° 1973 qui a autorisé la France à bombarder les troupes de Kadhafi. Le dernier mot revient aux tribus libyennes Autant de questions que La Presse a soumises à l'analyse de nombre d'experts suivant les développements que connaît la crise libyenne et les éventuelles incidences de la résolution de cette crise sur la Tunisie, plus particulièrement sur la guerre qu'elle mène contre les terroristes dont le plus gros effectif est installé en Libye. Pour Badra Gaaloul, présidente du Centre international des études sécuritaires, stratégiques et militaires, «ce sont les tribus libyennes, plus particulièrement Ouerchefana, Tarhouna et El Fella représentant près de 60% de la population libyenne, qui décideront du sort qui sera réservé à l'accord signé à Skhirat. Malheureusement, elles n'y sont pas représentées, et encore une fois, on est obligé de constater qu'il existe toujours une réelle rupture entre les politiciens et les hommes qui dominent le terrain. Et même au sein des représentants du gouvernement de Tripoli, il existe beaucoup de conflits. Les forces agissant sous le commandement de Khelifa Hafter ont, semble-t-il, changé d'alliés». Pour la Tunisie, «il est certain que le gouvernement aura un partenaire avec lequel il pourra dialoguer, contrairement à la situation actuelle. Sur le plan des renseignements et de l'échange d'informations, le prochain gouvernement libyen nous livrera au moins les listes des jihadistes tunisiens installés en Libye», précise Badra Gaâloul. «Le soutien international promis au gouvernement libyen d'union nationale n'est pas précisé dans l'accord. On ne sait pas s'il s'agit d'une intervention militaire que beaucoup de pays européens préparent déjà ou s'il est question d'appui diplomatique. En tout état de cause, et même si les nouveaux gouvernants libyens accepteront la présence de soldats étrangers dans leur pays, les chefs des tribus agissantes et détenant le pouvoir effectif dans les régions qu'ils dominent s'y opposeront. Il n'est pas question que les erreurs commises en 2011 se répètent. D'ailleurs, on apprend que des instructeurs militaires américains qui voulaient sonder le terrain, mardi dernier, ont été obligés par les Libyens de rebrousser chemin et de quitter le territoire libyen dans le même avion qui les a embarqués du Mali», conclut notre experte. Quant à la position tunisienne vis-à-vis de l'accord de Skhirat, il se résume jusqu'ici à une déclaration donnée par Taïeb Baccouche, ministre des Affaires étrangères. Il estime, en effet, que «c'est aux Libyens de décider de l'avenir de leur pays et que toutes les parties étrangères présentes en Libye (allusion claire aux jihadistes de tous bords installés dans plusieurs villes libyennes) doivent quitter impérativement le sol libyen».