Par Jawhar CHATTY La Banque maghrébine d'investissement et de commerce extérieur est née. Avec 25 ans de retard. Un temps de gestation digne de figurer dans le livre Guinness des records. Cette embryogenèse inouïe, ce long « processus » de maturation, si toutefois il est permis de parler de maturation, nous édifient sur l'ampleur des obstacles toujours dressés sur le chemin de la construction d'un espace économique maghrébin viable qui, nous sommes en droit de rêver, n'aurait plus rien à envier aux autres grands regroupements régionaux. La Bmice est venue au monde au moment où on l'attendait le moins. C'est-à-dire au moment où les contours du grand Maghreb sont encore flous, où la région tout entière est une zone de hautes turbulences et où le terrorisme gagne du terrain. A l'évidence, ce n'est guère un nid douillet qui attend le nouveau-né. Et c'est tant mieux ! N'est-ce pas en période de grandes crises que naissent les grandes institutions ? C'est en ces périodes que leur développement s'impose parce qu'elles pourraient être de puissants vecteurs de sortie de crise ? Souvenons-nous de la genèse de la Banque mondiale, du FMI ou encore de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, elles sont, à l'origine et elles le demeurent d'ailleurs toujours, toutes des institutions de gestion de crise et de post-crise, surtout d'accompagnement de période de transition majeure. Peut-être est-il fort prétentieux, voire déplacé, de vouloir faire un quelconque parallèle entre ces institutions et le nouveau-né maghrébin. Il n'en demeure pas moins qu'il est regrettable de voir que nous nous interdisons encore, nous Maghrébins, de voir grand comme si nous étions condamnés à voir petit et à l'accepter telle une fatalité. Le monde change et le Maghreb est en mutation. Les économies maghrébines sont en quête de transition. La Bmice pourrait être le bras séculier de cette grande transition. Par la mission qu'elle se donne et que préfigure sa propre dénomination, la Banque maghrébine d'investissement et de commerce extérieur porte, hélas, en son sein les germes du fatalisme de demeurer petit et de vouloir le rester. Quel commerce extérieur la nouvelle banque entend elle développer en l'absence d'un cadre réglementaire unifié régissant les transactions commerciales entre les pays maghrébins ? Quels flux de capitaux ambitionne-t-elle de favoriser au moment où le problème du contrôle des sources suspectes de financement des associations reste entier et où il est question de lutte contre le terrorisme et de blanchiment d'argent? On aurait franchement applaudi si le nouveau-né avait les traits d'une institution toute dédiée à l'investissement, à la refondation, au financement de grands projets structurants à travers les pays du Maghreb. Car seule cette grande entreprise de refondation pourrait avoir un sens dans l'espace maghrébin aujourd'hui en quête de stabilisation. La nouvelle entité financière maghrébine va sans doute devoir marcher sur des œufs et avancer dans un terrain miné. Les contradictions maghrébines ne manquent pas, les divergences des politiques sont légion et « la communauté d'intérêts » n'est pas si évidente que cela. Dans ces conditions, quelle sera la réelle marge de manœuvre de la Bmice et quel sera son véritable rayon d'action ? Il faudra, à cet égard, ardemment espérer que son envergure de banque maghrébine ne demeurera pas confinée dans les limites d'une simple petite banque commerciale. Son rayonnement futur dépendra, dans une large mesure, de sa capacité à pousser ses limites et à s'affirmer comme une banque d'envergure au service d'un projet d'envergure : l'intégration économique maghrébine.