Tobie Nathan est un romancier et ethnopsychiatre français né au Caire. Il est l'auteur du livre émouvant Ce pays qui te ressemble. Il est également le gagnant du prix «Liste Goncourt : le choix de la Tunisie» pour ce roman publié aux éditions Stock. Dans Ce pays qui te ressemble, il raconte la vie et les rêves de deux amoureux, juif et musulmane, frère et sœur de lait traversant leur destin tragique et fulgurant. Mais c'est aussi l'histoire de l'Egypte des années 1920 jusqu'à l'arrivée au pouvoir de Nasser et l'expulsion des juifs. Comment raconter l'histoire d'un pays à travers de deux amoureux ? Peut-être avec la complainte du héros du livre, Zohar Zohar. Ces vers résonnent au début et à la fin de cette épopée racontée sur plus de cinq cents pages : « Juifs d'Egypte, nous étions là avec les pharaons, puis avec les Perses, les Babyloniens... Aujourd'hui, nous n'y sommes plus. Il n'en reste plus un seul. Comment les Egyptiens peuvent-ils vivre sans nous ? » Les affres et les pathologies du monde Ce n'est pas un hasard que l'auteur de ce roman, Tobie Nathan, soit né au Caire, en 1948, expulsé avec sa famille en 1957 et devenu ethnopsychiatre en France. Ce livre confirme un mouvement de fond qui est en train de se déployer dans tous les arts : comme Kader Attiadans dans les arts plastiques ou Arnaud Desplechin avec Jimmy P. dans le cinéma, Nathan essaie d'interpréter les affres et les pathologies du monde avec une connaissance psychologique poussée de l'individu et des corps sociaux qui composent une société. D'ailleurs, l'hommage de Desplechin à Georges Devereux, précurseur de l'ethnopsychiatrie, est un hommage au maître de Tobie Nathan, fondateur du Centre Georges Devereux à Paris. « Nous vivons près des Arabes » Ce pays qui te ressemble est une fresque monumentale du subconscient qui régnait en Egypte entre les années 1920 et les années 1950, dans un pays gouverné par un roi flamboyant, dépensier, cynique et plus pédophile que pratiquant musulman. Un roi qui résiste à l'oppression anglaise, mais qui se déplace dans la Mercedes offerte par Hitler comme cadeau de mariage. Dans ce pays, naquit et grandit Zohar Zohar, Egyptien juif, fils d'un père aveugle et d'une mère considérée comme possédée et sorcière. Pour assurer la survie de son nouveau-né affaibli, la mère fait venir dans les ruelles du ghetto juif du Caire, Jinane, une chanteuse musulmane qui sera nourrice à la fois de sa propre fille et du fils juif qui vient de naître : « Nous vivons près des Arabes comme un homme vivrait près de son foie. Leur Coran contient nos histoires et notre bouche est emplie de leur langue. Pourquoi ne sont-ils pas nous ? Pourquoi ne sommes-nous pas eux ? » justifie la mère sa décision de faire nourrir son fils par une musulmane. Masreya et Zohar Zohar Séparée par la vie, l'histoire de Masreya et Zohar Zohar tournera en obsession de transgresser les interdits, de retrouver son amour, sa sœur de lait. Et ses deux amis juifs — Nino qui renie sa foi pour basculer vers l'Islam, Joe qui devient sioniste convaincu — lui rappellent à chaque étape le changement profond d'un pays qui traitera bientôt ses propres enfants juifs comme des apatrides. « Tu es né de moi, je suis née de toi... » Dans un langage simple, captivant et truffé de mythologies, comme aimait faire aussi le prix Nobel de littérature, Elias Canetti, pour faire ressurgir le passé de son pays natal, Tobie Nathan esquisse l'histoire de l'Egypte à travers trois dates : 1925, 1942 et 1952. Il met en exergue comment le vivre ensemble se transforme en haine contre les juifs, comment le pays des pharaons devient le royaume de la décadence et du fondamentalisme religieux. « Tu es né de moi, je suis née de toi... » chante la chanson dans le roman. Avec ses mots magiques et mystérieux, Tobie Nathan réussit à expliquer comment il était possible de transformer la berceuse en oratorio. RFI