Dix ans après la Révolution, le secteur de la sécurité n'a toujours pas connu les profondes restructurations susceptibles de garantir pleinement son indépendance. Les remplacements au pied levé sont devenus au fil des ans une source d'inquiétude et de tension. A l'instar de tous les secteurs, celui de la sécurité a été impacté par l'instabilité sur fond de tentatives de récupération politique. En dix ans, le ministère de l'Intérieur a connu douze ministres (Farhat Rajhi, Habib Essid, Ali Larayedh, Lotfi Ben Jeddou, Mohamed Najem Gharsalli, Hedi Majdoub, Lotfi Brahem, Ghazi Jeribi par intérim, Hichem Fourati, Hichem Mechichi, Taoufik Charfeddine, Hichem Mechichi par intérim) et finalement Walid Dhabi proposé ministre de l'Intérieur. Une situation d'instabilité d'une extrême gravité mais qui ne semble pas préoccuper pour autant les gouvernements qui n'ont pas cherché à faire bouger les lignes. Le «bras de fer» entre le Chef du gouvernement et son ancien ministre de l'Intérieur, Taoufik Charfeddine, s'est soldé par le limogeage pur et simple de ce dernier qui avait procédé à des remaniements dans les rangs des hauts cadres sécuritaires sans aviser le Chef du gouvernement. Les raisons évoquées ultérieurement par Mechichi donnent froid dans le dos puisqu'il est question d'une «tentative de déstabilisation de l'institution sécuritaire». Ce n'est pas le premier limogeage d'un ministre de l'Intérieur durant cette décennie. En novembre 2017, Najem Gharsalli a été lui aussi démis de ses fonctions et accusé d'atteinte à la sûreté de l'Etat. Lotfi Brahem connaîtra le même sort puisqu'il n'a pu mettre fin à la cavale de Gharsalli suite à son inculpation présumée dans cette obscure affaire. Dans le cadre de cette même affaire qui a connu plusieurs rebondissements, deux autres hauts cadres sécuritaires seront écroués à leur tour en mai 2017. Il s'agit du directeur général des services spécialisés et de l'ancien directeur de la brigade antiterroriste d'El Gorgani à Tunis. Le rideau est tombé en 2019 sur cette affaire rocambolesque dans laquelle l'homme d'affaires Chafik Jerraya fut impliqué, et les deux hauts cadre ont recouvré la liberté. A son tour, Gharsalli n'est plus visé par des poursuites judiciaires. Dix ans sont passés après le passage-éclair de Farhat Rajhi à la tête du ministère de l'Intérieur. De son bref mandat qui n'a duré que trois mois (du 27 janvier 2011 au 28 mars 2011), on retiendra surtout cette fameuse liste qui a mis à la porte plusieurs agents et cadres sécuritaires sans explication aucune et l'invasion de son bureau par des sécuritaires en colère. On ne sait pas s'il a démissionné ou s'il a été limogé à son tour. Le dossier des sécuritaires révoqués n'est pas clos pour autant et les divers syndicats de police tiennent fermement au retour de ces derniers. Rares sont les ministres qui ont réussi à la tête de ce ministère régalien. Cela s'explique surtout par l'enjeu important de ce poste. Nul n'ignore par ailleurs que les partis politiques ont profité du pouvoir discrétionnaire de certains ministres, ce qui a ouvert la porte à la désignation du dirigeant nahdhaoui Ali Laârayedh à la tête du MI à la fin de 2011. Une décision très mal calculée puisque ce mandat a entraîné la détérioration de la situation sécuritaire dans le pays, la montée du terrorisme, comme l'atteste l'assassinat des deux martyrs Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi en 2013. A l'exception de quelques-uns qui n'ont pas démérité durant cette première décennie et sont restés à l'écart des tiraillements politiques, la majorité n'a pas réussi à s'attaquer aux grands chantiers et a tourné le dos à la nécessaire profonde restructuration des services sécuritaires, dont en premier lieu les services spécialisés. Peut-être qu'on préfère laisser les choses traîner. «Certaines parties veulent s'attribuer le monopole des renseignements », avait expliqué au journal La Presse l'ancien premier conseiller à la Sécurité nationale auprès du Président de la République, Kamel Akrout. L'agence nationale de renseignements, appelée à travailler beaucoup plus sur le volet du renseignement stratégique, n'est pas, semble-t-il, à l'ordre du jour. Dix ans après la Révolution, et en dépit de la persistance de la menace terroriste, les services sécuritaires ont réussi à mettre en échec plusieurs opérations terroristes et à démanteler les cellules dormantes. Aujourd'hui, les groupes terroristes sont de plus en plus acculés à se retrancher dans les zones montagneuses. Mais des dysfonctionnements sont à signaler quand il s'agit de passer de la répression à la sécurisation en matière de lutte contre la délinquance et le crime. Plus simplement quand il s'agit de rétablir l'ordre sans piétiner les droits des citoyens. La pénible image qui a circulé sur les réseaux sociaux montrant l'arrestation de centaines de supporteurs du Club Africain ne ressemble en rien à la Tunisie post-révolution. S.D.