En ces temps de crise, parfois il faut encadrer les déclarations de nos soi-disant responsables partisans avant même de penser à encadrer ces jeunes qui ne font qu'exprimer, à leur manière, un malaise social et un ras-le-bol populaire. Si la Tunisie est enfoncée aujourd'hui dans une crise politique et économique ayant conduit à des troubles sociaux, devenus habituels en ce mois de janvier, le discours politique ne doit pas servir de moyen pour alimenter davantage la tension sociale. Autrement, on ne parviendra jamais à retrouver une stabilité sociale indispensable pour engager les restructurations et les réformes économiques et constitutionnelles nécessaires. Dix ans après la révolution, il semble que la classe politique n'ait pas encore saisi l'importance d'opter pour un discours politique équilibré, rationnel et évidemment sage. Les troubles sociaux observés ces derniers temps en Tunisie n'ont pas été accompagnés par un tel discours politique. Pire encore, on tombe dans le piège des propos régionalistes, de division et qui font fi de l'unité nationale. Les déclarations des deux dirigeants nahdhaouis vont malheureusement dans ce sens et rappellent des séquences douloureuses de l'histoire post-révolution du pays. Occupant certaines tribunes médiatiques, les deux dirigeants étaient sur la même longueur d'onde pour exprimer une position étrange, voire dangereuse, qui met à mal le caractère civil du pays. En effet, défiant tout principe d'unité nationale, le président du Conseil de la choura d'Ennahdha, Abdelkerim Harouni, est allé jusqu'à dire que les enfants et les jeunes d'Ennahdha seront déployés dans la rue aux côtés des forces sécuritaires pour protéger les biens publics et privés. «Les jeunes d'Ennahdha seront déployés pour soutenir les forces de l'ordre dans l'objectif de protéger les biens publics et privés». C'est en ces mots que Harouni a exprimé sa vision de protéger les biens publics et privés dans ce contexte de protestations, de vandalisme et de troubles nocturnes. Quelques heures plus tard, c'est l'autre dirigeant nahdhaoui Mohamed Goumani qui va dans le même sens pour solliciter la mobilisation des jeunes d'Ennahdha dans la rue pour contribuer au rétablissement de la paix sociale. « Les forces civiles pourraient soutenir les efforts des forces de l'ordre pour protéger les quartiers », a-t-il estimé, rappelant que durant les événements de Ben Guerdane en 2016, les citoyens avaient aidé les militaires à traquer les terroristes et à faire avorter cette attaque terroriste qui visait à installer un émirat dans cette ville. Quels messages résident derrière ces déclarations qui vont dans le sens d'une mobilisation des jeunes pour sécuriser les quartiers ? Constituent-ils un moyen pour revendiquer un nouveau modèle de gestion des affaires sécuritaires en Tunisie ? Relèvent-ils une perte de confiance en nos forces armées ? En tout cas, ce qui est sûr, c'est que même si la réponse à ces agitations sociales étaient purement sécuritaires, nos forces de l'ordre, déployées sur tous les fronts, ont pu gérer cette situation chaotique avec les moindre dégâts possibles. D'ailleurs, elles étaient livrées à elles-mêmes face à la colère grandissante de ces jeunes, dont l'origine n'est autre que les mauvais choix et les promesses en l'air des politiciens qui se sont succédé au pouvoir depuis la révolution. Encore faut-il rappeler qu'en dépit de certains dérapages, ce sont les institutions sécuritaire et militaire qui payent très cher les mauvaises décisions des décideurs et l'absence d'encadrement de ces jeunes par les partis politiques. Sur les réseaux sociaux, ces appels à mobiliser les jeunes dans la rue pour protéger les biens publics et privés ne passent pas inaperçus. Ils sont associés à une volonté de priver la Tunisie de caractère civil et ouvrir la voie à la libanisation du pays. Certains ont même fait allusion à un système de milices qui pourrait avoir lieu en Tunisie si on suit la logique de ces deux leaders d'Ennahdha. Car, en effet, chaque parti politique osera ainsi mobiliser et déployer ses sympathisants dans la rue au nom de la protection de la Paix sociale, ce qui déclencherait une véritable crise sécuritaire en Tunisie. Or cette idée étrange ne fait même pas l'unanimité à Ennahdha. Abdelatif Mekki a réagi sur son compte Facebook en affirmant que la protection de ces biens publics et privés relève uniquement des prérogatives des forces de l'ordre en Tunisie et à personne d'autre. Au fait, ces déclarations mystérieuses font actuellement l'objet de toutes les critiques. Le député du Courant démocratique Zied Ghanai a appelé Abdelkrim Harouni à retirer ses mots et à présenter des excuses. Idem pour le député Mongi Rahoui qui estime, lui, que ces déclarations cachent un projet de mise en place de milices partisanes en Tunisie. Le secrétaire général adjoint de l'Union générale tunisienne du travail, Sami Tahri, est également du même avis. Pour lui, la mobilisation des jeunes et sympathisants des partis politiques ne mènera qu'à l'émergence de milices dans les rues tunisiennes.