Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.
18e édition du Festival des cinémas d'Afrique du pays d'Apt (Fcapa) — Table ronde «Circulation immatérielle des films»: L'expérience collective du grand écran avant tout
«Le cinéma a déjà vécu la menace de l'arrivée de la télé et y a survécu». Créé en France en 2003 par des associations engagées aussi bien sur le terrain du dialogue avec l'Afrique (Comité de jumelage Apt-Bakel), de la cinéphilie (Projections) que de l'action culturelle en milieu scolaire (Le goût de lire en pays d'Apt), le Festival des cinémas d'Afrique du pays d'Apt (Fcapa) s'est fixé pour objectif fondateur de montrer au public des films passionnants et pourtant peu diffusés, d'une très grande diversité d'origines, de genres, d'écritures. Il y est question de l'Afrique à travers ses propres regards, ceux des cinéastes d'Afrique car ce ne sont pas tant «des films africains» que les œuvres de cinéastes d'Afrique, qui traitent de sujets universels, à la lumière de leurs histoires et de celles d'un continent multiple, divisé, exploité, habité de valeurs profondes et nourri d'une énergie porteuse d'espoir. Covid-19 oblige, sa 18e édition qui a commencé le 22 janvier pour se poursuivre jusqu'au 28 du même mois, est exclusivement en ligne, accessible gratuitement à tous, en direct et en replay sur le site du festival et sur sa page facebook. Au programme, sept longs métrages et huit courts, documentaires et fictions, onze pays représentés et une dizaine d'invités sur place. Les projections en ligne sont systématiquement suivies d'un débat retransmis en direct à partir d'un plateau installé à la chapelle des Carmes. Au menu, également, des tables rondes, retransmises en direct et en replay, autour des questions de l'apport des femmes cinéastes africaines et des défis de la diffusion en ligne. Cette dernière thématique a été abordée, dimanche dernier, par un panel d'intervenants lors d'une table ronde intitulée «Circulation immatérielle des films». Le rendez-vous a réuni sur le plateau en France le réalisateur et producteur (Mirak Films) franco-tunisien, Karim Dridi, et les deux critiques de cinéma, le Tunisien Tahar Chikhaoui et le Français Olivier Barlet. Et via Zoom, Amor Hakkar, réalisateur et producteur (Sarah films, France), la réalisatrice et productrice sénégalaise Angèle Diabang (Karonika production), le Tunisien Mohamed Frini (Hakka distribution), Berni Goldblat, réalisateur et producteur (Les Films du Djabadjah-Ciné Guimbi, Burkina Faso) et le réalisateur et producteur béninois Faissol Gnonlonfin (Vraivrai films). À l'ère du cinéma dématérialisé, des plateformes de vidéos à la demande, de l'IP télévision, la pandémie —avec la fermeture des salles de cinéma et la digitalisation de l'événementiel— est venue accélérer cette transition vers le numérique. Il est, donc, important aujourd'hui de faire un état des lieux et des enjeux du secteur de la production et de la diffusion cinématographique en Afrique. En introduction à ces échanges d'idées et d'expériences, Olivier Barlet a dressé un très édifiant historique de l'exploitation des salles de cinéma et de la distribution en Afrique : «Le cinéma débute en 1895, dès 1911, il y a eu 8 salles au Caire et 3 en Alexandrie, très vite, le cinéma s'installe et se construit. En 1930, il y avait 750 salles en Afrique, ce chiffre va passer à 1.683 en 1951 et à 2.168 en 1960 au moment des indépendances (grande concentration des salles en Afrique du Nord). 1969 fut une date très importante avec la tenue d'un congrès panafricain et la volonté de fonder la fédération panafricaine des cinéastes. C'était aussi la date à laquelle la Motion Picture Association of America a fondé la Fram, un cartel de distribution de films qui s'installe à Dakar pour concurrencer le duo pôle dirigé par les Français, Secma (société d'exploitation cinématographique africaine) et Comacico (Compagnie africaine de cinéma commercial) qui dominaient à l'époque l'importation et la distribution des films en Afrique francophone». Dans le cadre des élans anti-impérialistes et nationalistes de l'époque, le Mali nationalise, en 1970 les salles Comacico-Secma suivi en 1972 par le Dahomey futur Bénin, le Sénégal et le Zaire en 1973. Les chiffres étaient en 1970 de 306 salles de cinéma en Afrique francophone dont 119 possédées par Comacico-Secma et 130 sont programmées par ces mêmes deux sociétés françaises. Cela passera à 318 salles en 1980 pour décroître ensuite et atteindre 138 en 2000 et 49 en 2015. Au Nigeria en 1972, un décret va permettre le transfert de la propriété de 300 salles de cinéma à des Nigérians, mais ces derniers continueront à distribuer des films américains (pas de grandes transformations). En 1973 sur ordre de Valéry Giscard d'Estaing, la Sopacia (Société de participations cinématographiques africaines), controlée par l'UGC (l'Union générale cinématographique) rachète la Comacico-Secma et détient 75% du marché de la distribution des films contre 22% à la Fram, mais finira par vendre progressivement son parc de salles. En 1974, des initiatives africaines seront lancées en réaction à cela avec, entre autres, la création de sociétés panafricaines : la Cidc (Consortium inter-africain de distribution cinématographique) et du CIPROFilms (centre inter-africain de production de films). En 1984, les deux sociétés vont faire faillite. Autre date et un fait jugé important par Olivier Barlet, 2003, avec la nomination de Nourredine Sail au centre du cinéma marocain qui, comme il le note, accroît le soutien public à tout le secteur du cinéma au Maroc qui devient et demeure en 2021 le premier producteur de films et le pays avec le plus de salles de cinéma dans toute l'Afrique francophone. Après leur fermeture à cause de la crise économique au Nigeria (qui a abouti à l'exposition de la vidéo et l'avènement du Nollywood) en 2004, les salles de cinéma réapparaissent avec la construction de Multiplex sur le modèle sud-africain. Ce modèle de salles va se développer dans la zone Afrique australe. D'autres dates clés sont annoncées par le critique d'art : 2019, lancement par le groupe Bolloré d'un programme de construction d'une cinquantaine de salles Canal Olympia avec des monoécrans de la même dimension adossés à une scène de spectacle en plein air/ 2016, Netflix se lance dans 130 nouveaux pays dont les 54 pays africains/Actuellement en Afrique il y a près de 180 plateformes VOD de diffusion de films / 2019 création du réseau d'exploitants et de distributeurs africains (Reda) qui regroupe 18 salles dans 6 pays et qui entend privilégier le contenu africain/ 2019 Pathé Gaumont lance un programme de construction de multiplex en Afrique francophone/ 2020 Netflix diffuse sa première série «Queen Sono» entièrement produite en Afrique/ 2021 Show max tourne à Johannesburg, en collaboration avec Canal+ la série «blood storms», la «Games of throne» africaine. Il nous apprend qu'actuellement, le premier distributeur et exploitant de films en Afrique est Ster Kinekor qui possède 55 établissements et 424 écrans contre 22 établissements pour son concurrent Nu Métro et que l'Afrique compte 34 millions d'abonnés à la télévision payante. Après ce bilan et cette mise en contexte, l'on a parlé de certaines initiatives africaines et panafricaines et de leur existence dans ce circuit des intérêts internationaux. Bserni Goldbalt a parlé du Reda, un réseau d'exploitation et de distribution panafricain créé pour donner plus de visibilité au contenu africain et faciliter l'accès aux films pour les salles et les ayants droit. Créé à l'occasion du Fespaco 2019, le réseau regroupe 18 salles de cinéma, au Sénégal, au Mali, à la Côte d'Ivoire, au Niger, au Burkina Faso et au Tchad, qui fonctionnent comme un territoire avec une même ligne éditoriale et permettant un minimum garanti global pour les exploitants. «L'autre idée, derrière ce réseau, est de pouvoir acquérir du contenu étranger de manière collective», explique encore Godbalt (Ciné Guimbi qui fait partie du réseau). Ce dernier a parlé d'un autre projet, celui du cinéma spac's network qui regroupe 5 initiatives et réfléchit, au vu du contexte actuel, sur la meilleure manière de pouvoir disposer de contenu difficile à acquérir et propose une diffusion de films autrement que dans des salles de cinéma, par exemple dans des containers, des lieux hybrides, des cinémas itinérants qui marchent au solaire…». Le point commun entre ces deux initiatives est toujours ce souci de pouvoir proposer des films africains à nos publics», ajoute-t-il. La Sénégalaise, Angèle Diabang, a affirmé que la Covid est venue changer les choses en favorisant les diffusions en ligne : «Je reste partisane des initiatives qui donnent accès à l'image dans le réel sur grand écran. Nos publics africains ont encore besoin du grand écran que l'on peut installer partout en plein air…», affirme-t-elle. Le défi aujourd'hui est de pouvoir faire cohabiter ces différents modes de diffusion et pérenniser les salles de cinéma. Pour le Tunisien Mohamed Frini (Hakka distribution), la VOD est un produit et non un mode de diffusion. «On veut nous présenter cela comme une nouveauté, mais nous ne devons pas être impressionnés. Le cinéma a déjà vécu la menace de l'arrivée de la télé et y a survécu», affirme-t-il. Pour le réalisateur Karim Dridi, l'existence des salles de cinéma est fondamentale : «Je place le cinéma très haut, je ne fais ni de séries ni de publicité. Les salles de cinéma sont l'endroit où on veut être, c'est un contact, des rencontres… Le cinéma contrairement à la série, qui est chronophage, n'est pas un rendez-vous au quotidien, mais une œuvre matérielle, un objet», souligne-t-il. Pour Tahar Chikhaoui, l'aspect économique et la circulation de l'argent l'emportent actuellement dans cette combinaison sur laquelle doit reposer le cinéma et qui englobe l'artistique, le culturel et l'économique. «Aujourd'hui, nous avons en Afrique un écosystème très diversifié avec l'émergence d'initiatives individuelles ou en groupes qui tiennent compte des spécificités de chaque pays. Avec l'arrivée des opérateurs de distribution et de diffusion de très grande taille, cette diversité est menacée. Pour la préserver, nous avons intérêt à constituer une sorte de consortium, des partenariats et créer un contrepoids sérieux», propose Mohamed Frini.