Une fois de plus, les options diplomatiques de la Tunisie suscitent les critiques de la société civile et des partis de l'opposition. Ils estiment que les autorités tunisiennes semblent ignorer un principe de base des relations internationales : la préservation des intérêts nationaux. Ces détracteurs de la diplomatie tunisienne lui reprochent de privilégier des agendas étrangers fomentés par des pseudo-partenaires et qui nuisent considérablement à ses intérêts. Le partenaire en question, c'est l'Arabie Saoudite. Et la décision incriminée est celle relative à l'engagement de la Tunisie dans la coalition islamique formée par ce pays. Projet déstabilisateur En fait, la position hostile à cette orientation vient de se radicaliser davantage, suite à l'exécution d'un dignitaire chiite, le Cheickh Nimr Baker Al Nimr, et de 46 autres personnes condamnées pour « terrorisme », par le régime saoudien, en ce début d'année. Ce qui a provoqué la rupture des relations diplomatiques entre l'Arabie Saoudite et l'Iran, annoncée par la première, en guise de protestation contre la vive condamnation de ce « grave forfait » par le régime iranien et les violences qui ont suivi ces exécutions. Pour sa part, Al Massar voit dans ces dernières une énième tentative d'allumer la mèche de la sédition entre sunnites et chiites. De plus, il affirme que le timing de ce « crime » n'a rien d'innocent. Il est persuadé que ces exécutions, qui interviennent après l'intervention militaire au Yémen pour servir des agendas étrangers sous prétexte de lutter contre le terrorisme, coïncident avec les démarches incessantes de la part des Etats-Unis visant la reconstitution du pacte turco-saoudo-israélien, un projet qui est trahi par la dernière déclaration d'Erdogan qui insiste sur la nécessité de rétablir l'alliance entre son pays et l'Etat hébreux. Ces exécutions coïncident, également, toujours d'après Al Massar, avec la campagne américano-atlantique contre l'intervention russe en Syrie, qui a réussi à asséner des coups très durs aux organisations terroristes qui y sont implantées et amorcé leur démantèlement, en peu de temps, alors que l'alliance occidentale n'est pas parvenue, en plus d'une année, à arrêter l'expansion de Daech et consorts en Syrie et en Iraq. Les pourfendeurs de la position émanant du ministère des Affaires étrangères tunisien considèrent que le régime saoudien essaye, à travers ces exécutions, d'occulter la montée des contestations populaires et des revendications des défenseurs des droits de l'Homme, et d'étouffer les voix libres qui commencent à résonner fort et à se répandre dans le royaume, et ce en les entachant de sectarisme. C'est pour toutes ces raisons que les partis de l'opposition et les forces démocratiques ont demandé avec insistance à la présidence de la République de revoir sa position et de se retirer incessamment de ladite coalition islamique dirigée par l'Arabie Saoudite. Droits de l'Homme sacrifiés Le communiqué du ministère des Affaires étrangères suscite l'indignation de plusieurs observateurs, dont des anciens diplomates, à l'instar de M. Chokri Dimassi, qui y voit un parti pris flagrant pour l'Arabie Saoudite. Il considère qu'en observant un silence inquiétant et assourdissant sur les crimes perpétrés dernièrement et les graves atteintes aux droits de l'Homme, les autorités tunisiennes agissent à l'encontre des valeurs et principes universels dont l'Etat s'est toujours réclamé. Ces concessions en faveur du régime saoudien s'expliqueraient-elles par les quelques « dons » très modiques et les promesses d'investissement dans notre pays? Se demandent certains. Ces « faveurs » valent-elles la chandelle ? Il est à rappeler que l'« offre » saoudienne consiste dans 48 anciens avions de combat F5 et que les investissements promis, qui ne sont pas encore devenues réalité, risquent de connaître le même sort que leurs devancières. On garde toujours en mémoire la tournée dans les pays du Golfe de l'ex-chef du gouvernement, Mehdi Jomâa, baptisée « diplomatie économique », où la délégation tunisienne n'a reçu de la part des pays du pétrodollar que beaucoup d'amour et d'eau fraîche. Et est-ce moral de troquer des valeurs humaines contre quelques avantages matériels? Et qu'en est-il de la souveraineté nationale ? Dans ce cas, ne serait-elle pas hypothéquée? M. Dimassi se demande pourquoi la diplomatie tunisienne s'engage-t-elle à soutenir un pays qui n'a pas sorti le moindre communiqué pour condamner les opérations terroristes commis en Tunisie. Une telle attitude ne se contredit-elle pas avec le principe de réciprocité dans les rapports entre Etats ? L'ancien diplomate n'arrive pas à comprendre, non plus, comment l'ex-ministre des Affaires étrangères ne prononce pas un seul mot vis-à-vis des atteintes flagrantes aux droits de l'homme dans ce pays du Golfe, auquel on témoigne un soutien inconditionnel, pour ne pas dire aveugle, alors qu'il est réputé être militant des droits de l'Homme, comme en témoigne son passé. A-t-il oublié qu'il était président de l'Institut arabe des droits de l'Homme et président de l'une des sections de la Ltdh ? En procédant de la sorte, la diplomatie tunisienne a causé du tort au pays, car de l'avis des spécialistes, elle compromet ses intérêts avec un pays de l'envergure de l'Iran, qui est membre du Brics et l'une des principales forces de la région, et avec lequel, et c'est le plus important, la Tunisie entretient des rapports économiques fort importants qui sont en voie d'être renforcés. Alors que l'Arabie Saoudite est en train de perdre sa position internationale, à cause de la chute continue du prix du baril de pétrole, ce qui affecte très sérieusement ses réserves de change et l'oblige à procéder à des réformes sociales profondes. En s'alignant sur la position du régime saoudien, notre diplomatie ne commet-elle pas une grave erreur stratégique ? Elle ne cesse de nous étonner par ses engagements démesurés et insensés à l'égard de questions qui ne l'intéressent que secondairement, et une insouciance vis-à-vis de conflits dans lesquels le pays est impliqué directement et dont dépendent sa sécurité nationale et son avenir, à l'instar de ce qui se passe actuellement en Libye... Au nom du principe de non-ingérence qui, toutefois, trouve son champ d'application sous des cieux éloignés...