Sa pratique est souvent décrite comme une déconstruction de la peinture dans un souci de réduction et d'autonomisation de la matière. La galerie Selma-Feriani présente, jusqu'au 27 mars, l'exposition «Vingt fois sur le métier remettre l'ouvrage» de l'artiste Lina Ben Rjeb. Née en 1985 en Tunisie, Lina Ben Rjeb vit et travaille à Paris. Artiste plasticienne diplômée de l'Ecole nationale supérieure des Beaux-arts de Paris et doctorante en Arts plastiques à la Sorbonne. Elle a pris part à plusieurs expositions de groupe en France, entre autres, aux galeries parisiennes Florence Léoni et Vincenzo Sala et en Tunisie au B'chira Art Center (2014). «Vingt fois sur le métier remettre à l'ouvrage» est sa première exposition personnelle en Tunisie. Sa pratique est souvent décrite comme une déconstruction de la peinture qu'elle accomplit par les gestes et les outils de l'écrit dans un souci de réduction et d'autonomisation de la matière. C'est dans cet esprit que l'artiste travaille depuis quelques années avec des carnets présentant un large éventail de compositions réalisées essentiellement à partir de caviardages et de photocopies. Quinze œuvres sont à découvrir dans cette exposition, rassemblées autour d'un titre «Vingt fois sur le métier remettre à l'ouvrage» qui reprend une métaphore de l'«Art poétique» du poète, écrivain et critique français Nicolas Boileau (1636 - 1711). «Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément. Hatez-vous lentement et sans perdre courage, vingt fois sur le métier, remettez votre ouvrage, polissez-le sans cesse, et repolissez, ajoutez quelquefois et souvent effacez». L'artiste retient, dans son approche, deux aspects de cette métaphore: le travail manuel (une image qui renvoie au travail intellectuel) et l'effacement. Chez Lina Ben Rjeb, l'effacement devient œuvre. «Ajoutez quelquefois, et souvent effacez» est en quelque sorte une description de ses procédés de travail. Effacer, caviarder, se reprendre en exploitant la possibilité d'accidents au moment de la réalisation de l'ouvrage ou décider, à l'avance, qu'il y aurait des accidents qu'elle inclura dans son œuvre ou qui en changeront le devenir. Car la création, comme celle qu'évoque Boileau, dépasse la simple exécution d'un ouvrage. L'artiste procède par mise en abîme, l'effacement (recouvrement, caviardage) chez elle se multiplie et devient même effacement de l'effacement. Elle exprime, entre autres, cela par une boucle de photocopies, comme dans son œuvre «HIIH» jusqu'à arriver à un éternel recommencement, celui de la page blanche. L'écriture y est reproduite jusqu'à saturation devenant un véritable plan pictural proche du monochrome, que l'artiste va ensuite éclaircir jusqu'à l'effacement. Elle établit un dialogue avec le spectateur qui accède au processus de production, mais aussi à son rapport au mot : un rapport inversé, celui de la langue arabe à la langue latine, sorte de commentaire identitaire. La déformation des mots met en évidence la perte de leur sens d'une langue à une autre. L'on voit, également, cette manie de l'effacement dans son œuvre «Palimpseste» où le blanc devient écriture et reconversion. L'approche de Lina allie la part conceptuelle du travail artistique et sa part matérielle. L'artiste met en espace la matière, lui conférant un devenir autre qui à son tour accouche d'autres possibilités. Dans ses séries «Hide and Seek» et «Mains obsolètes», l'on retrouve les couches picturales de ses carnets multipliés dans des renaissances « bis » sur plexiglas, la peinture une fois décollée est mise en espace. A voir absolument.