Les députés dénoncent la corruption, le clientélisme et la bureaucratie. Habib Essid se dit ouvert à toutes les propositions Après l'agitation sociale qui a touché plus de 13 gouvernorats en Tunisie, le chef du gouvernement s'est présenté officiellement devant le parlement, hier, pour un discours général sur l'état du pays et pour présenter la note d'orientation sur le plan quinquennal 2016 - 2020. Mais officieusement, Habib Essid a été interrogé et vivement critiqué par les députés de la majorité comme par ceux de l'opposition. D'ailleurs, en plein discours du président du parlement, la séance a été perturbée par des «points d'ordre» qui ont fustigé l'ordre du jour tel qu'il a été fixé par le bureau de l'Assemblée. «C'est une situation exceptionnelle et nous refusons que la séance se déroule comme toutes les autres avec de la parlotte de part et d'autre, réclame le président du groupe du Front populaire, Ahmed Seddik. Nous demandons à ce que le gouvernement prenne aujourd'hui des engagements clairs envers le parlement et envers le peuple tunisien, la note d'orientation sur le plan quinquennal est hors sujet». Le député du mouvement «Echâab», Ridha Dellaii, a qualifié le déroulement de la séance plénière de «fuite de la redevabilité». De son côté, la députée du Courant démocratique, Samia Abbou, a accusé le chef du gouvernement d'avoir dicté l'ordre du jour au bureau de l'Assemblée. Les députés de l'opposition ont demandé à la présidence du parlement de revoir cet ordre du jour afin qu'il soit essentiellement axé sur la discussion de la situation générale et non pas de la feuille de route économique, dont la discussion est prévue au mois de mars. «Ce document est préparé avec la froideur habituelle des technocrates alors qu'il y a des sujets brûlants à traiter, l'image de cette assemblée a été détériorée», martèle Salem Labyedh du mouvement «Echaâb». Les députés de la majorité réagissent, à l'instar de Riadh Mouakher de Afek Tounès qui rappelle que, selon le règlement intérieur, l'établissement de l'ordre du jour est une prérogative exclusive du bureau de l'Assemblée. Avant le démarrage de la plénière, le ministre de l'Emploi, Zied Laâdhari, a indiqué qu'il sait que le gouvernement est souvent critiqué pour son manque de visibilité et de programme, «mais, dit-il, nous allons démontrer que nous avons bien une vision à moyen et long termes dans le cadre d'un plan quinquennal». Le ministre de l'Emploi a indiqué que le gouvernement écouterait les demandes pressantes des régions les plus démunies mais que les mesures que prendrait le gouvernement ne pourraient être improvisées, mais devraient s'inscrire dans une démarche globale. C'est en tout cas ce qu'a essayé d'expliquer le chef du gouvernement, parfois maladroitement, puisqu'il semble que sous la pression, Habib Essid a abandonné son discours officiel pour improviser. Il a notamment estimé que son gouvernement était sur la bonne voie pour trouver des solutions viables avant de dire aux députés qu'il était principalement présent pour écouter les propositions des élus du peuple. «Nous avons commencé à faire des choses, nous avons visité 11 gouvernorats parmi les plus démunies, a-t-il dit. D'ailleurs, ce qui s'est passé à Kasserine c'est parce que nous commencions à faire bouger les choses». Il a malgré cela expliqué que beaucoup restait à faire et que l'Etat cherche à trouver des emplois stables et non pas 1.000 emplois précaires. Le député indépendant Hassouna Nasfi s'en prend violemment au gouvernement et à l'administration publique tunisienne, qui «est gangrenée par la corruption, la bureaucratie, le clientélisme et l'absence de transparence». «Comment dans ces conditions peut-on demander à un jeune de lancer son projet?, s'interroge-t-il. L'administration n'encourage pas l'entrepreneur. Contrairement à ce qui se dit, elle le décourage. Nous ne voulons plus d'un gouvernement qui propose des solutions d'emploi tout droit venues des années 1980 en les présentant comme des solutions nouvelles». De son côté, Mohamed Frikha, député du groupe parlementaire d'Ennahdha, a proposé au chef du gouvernement la création d'un conseil supérieur de l'emploi au sein duquel toutes les forces vives du pays seraient représentées. Un conseil qui, aiderait au financement des petits projets en faveur des familles nécessiteuses. Le député de Afek Tounès, Karim Hellali, a quant à lui proposé des solutions concrètes, parmi lesquelles la formation de cadres capables de gérer les régions en vue de la décentralisation et la réforme de la loi sur les marchés publics et l'expropriation pour une plus grande souplesse, le tout dans le cadre de ce qu'il a appelé «l'état d'urgence économique». Dans une déclaration à La Presse, le ministre de l'Investissement, Yassine Brahim, a affirmé que «le secteur de l'industrie a créé 20.000 postes d'emploi alors que le secteur des services, lui, a perdu environ 20.000 postes d'emploi en raison de la crise touristique», histoire de démontrer que le solde n'est pas négatif. «Les investissements directs étrangers ont augmenté de 21%. Ces investissements permettront de créer de la croissance et des emplois», a-t-il indiqué. Le conseil supérieur des marchés publics a augmenté la cadence des projets de 70% d'un coût de 5.400 milliards, ces investissements publics vont permettre de faire travailler d'autres entreprises qui pourront embaucher». Selon lui, l'idée est de donner plus de pouvoir aux régions pour accélérer les réformes. «Nous visons à ce que dans chaque région il y ait une locomotive économique comme la centrale laitière à Sidi Bouzid ou l'usine Benetton à Kasserine », a-t-il expliqué. Note d'orientation du plan quinquennal : Plan national de bonne gouvernance et de lutte contre la corruption La note d'orientation du plan quinquennal (2016-2020) fixe des priorités au plan politique visant à préserver les libertés individuelles et publiques, instaurer la démocratie, garantir le respect des droits humains et d'une gouvernance globale et effective et la lutte antiterroriste. Parmi les attributs de l'action de développement, souligne la note d'orientation, figurent le parachèvement de l'édification du cadre institutionnel et l'instauration du cadre législatif et réglementaire régissant les relations publiques et les différents volets de la vie politique, économique et sociale. Selon le plan de développement, les efforts seront concentrés sur la garantie de la pérennité de l'ensemble des instances constitutionnelles et indépendantes, à savoir l'Instance supérieure indépendante des élections (Isie), la Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle (Haica), l'Instance du développement durable et de la protection des droits des générations futures et l'Instance de la bonne gouvernance et de la lutte contre la corruption. Le document évoque aussi le parachèvement du processus d'édification démocratique, la consécration de l'égalité, l'instauration de l'Etat de droit et des institutions, la création du conseil supérieur de la magistrature dans sa nouvelle version et la création de la cour constitutionnelle. Réformes du système sécuritaire Il souligne, également, l'instauration du conseil supérieur des collectivités locales et l'engagement de réformes profondes du système judiciaire et du dispositif carcéral, conformément aux dispositions de la nouvelle constitution, outre la révision des législations y afférentes. Selon le document, il s'agira d'adopter un plan national de bonne gouvernance et de lutte contre la corruption, d'instaurer l'instance constitutionnelle de la bonne gouvernance et d'accélérer le renforcement du cadre juridique et procédural sur la base de l'équité et de l'indépendance de la justice. Le document d'orientation souligne l'importance de garantir la sécurité et la paix sociale, conditions essentielles permettant d'attirer les investissements nationaux et internationaux et de lutter contre le terrorisme, l'extrémisme et la criminalité. Il s'agit aussi de procéder à d'importantes réformes du système sécuritaire dans le cadre d'un projet sociétal renouvelé, en fonction des ressources humaines et des moyens technologiques, tout en veillant à coordonner entre les forces de sécurité et l'armée et les services douaniers et d'assurer une ouverture sur le contexte international en matière de lutte contre le terrorisme. Nouveau découpage territorial Dans l'optique de la consécration des dispositions prévues dans la Constitution, notamment en ce qui concerne l'application de l'article 14 relatif à l'engagement de l'Etat à soutenir la décentralisation, et le 7e chapitre relatif à l'autorité locale, le document évoque l'organisation de l'élection des conseils municipaux et régionaux. Il s'agit aussi de réaliser la restructuration de l'aménagement territorial en vue de réaliser un nouveau découpage territorial, outre la promotion de l'organisation administrative et institutionnelle à travers notamment la restructuration de l'administration publique, la modernisation de ses moyens d'action et le renforcement de la déconcentration administrative. Le document d'orientation fait aussi état du rôle des médias et de l'accès à l'information, facteur essentiel pour l'édification démocratique affirmant la nécessité de parachever l'instauration des fondements du secteur à travers l'instauration de l'instance de la communication audiovisuelle et l'élaboration d'un cadre réglementaire de la presse électronique et d'un cadre juridique relatif au financement des médias et au renforcement des médias publics.