Habib Essid : « Si les finances publiques restent en l'état, elles ne permettront pas des hausses de salaires ». Mourad Hmaidi : « Le gouvernement n'arrive même pas à gérer le quotidien ». Walid Bannani : « Habib Essid peut s'assurer du soutien du bloc d'Ennahdha pour faire passer les réformes douloureuses » Ils ne sont que 120 jours et pourtant ils ont été éprouvants pour Habib Essid et son équipe gouvernementale qui a essuyé tant de critiques et vécu plusieurs crises dont la plus grave : l'attaque du musée du Bardo. Mais ce n'est pas tant sur le dossier sécuritaire que le chef du gouvernement était attendu hier à l'hémicycle, puisque sur ce dossier, majorité et opposition lui reconnaissent malgré tout une nette amélioration du climat sécuritaire. D'ailleurs, Habib Essid l'annonce fièrement : « Nos forces de sécurité ont recouvré leur santé et leur rôle naturel dans la protection des citoyens et des institutions. Nous avons accompli des succès indéniables dans la lutte contre le terrorisme ». Et Habib Essid défend son bilan sécuritaire, chiffres à l'appui : « Nous avons accompli de gros succès, notamment dans le démantèlement des cellules terroristes et l'arrestation de dizaines de terroristes et l'inculpation de 590 personnes pour cause d'appartenance à des organisations terroristes ». Le chef du gouvernement met cependant en garde : le danger terroriste reste présent. Pour lui, il ne faut pas fléchir et surtout « éviter tout parasitage des deux institutions sécuritaires ». « La guerre contre le terrorisme est une longue guerre, qui nécessite de la patience et beaucoup de vigilance », a déclaré Habib Essid. « Bilan positif » Les députés l'attendaient surtout sur le dossier toujours aussi brûlant de l'économie. Le chef du gouvernement a compris hier, que même avec une forte majorité à l'assemblée, il n'était pas en terrain conquis. « Depuis la première semaine de notre prise de fonctions, nous avons dû subir des critiques et même des procès d'intention », lance Habib Essid au début de son intervention. Sur ce dossier également, le chef du gouvernement a bien préparé ses fiches, et pas que cela : une opération « com » a même été organisée dans le hall du parlement. Des écrans télé et une projection des réalisations qu'auraient accomplies le gouvernement pendant les 100 premiers jours. Une opération que dénonce Imed Daïmi (CPR) qui croit voir une propagande insensée du gouvernement. Le député a même demandé, en vain, que l'on démonte cette installation. Concrètement, le gouvernement note une tendance baissière des prix à la consommation des produits alimentaires. Quant à l'inflation, Habib Essid se félicite d'une baisse de 0.4% par rapport au mois d'avril, pour s'établir à 5.3%. « C'est le plus bas niveau depuis le début de l'année », précise le chef du gouvernement. Paix sociale Dans son allocution longue de 21 pages, Habib Essid a étalé, pendant plusieurs minutes, ce qu'il considère comme un bilan positif de son gouvernement. A coup de chiffres, il expose la bonne volonté du gouvernement quant à la lutte contre le commerce parallèle. Il avance ainsi le chiffre de 268 procès liés à la contrebande dont la plus spectaculaire, celle de « l'opération de trafic de feux d'artifice par le biais du port de Sfax ». En dépit des mouvements sociaux qui ne cessent de secouer des secteurs stratégiques en Tunisie, le chef du gouvernement se dit satisfait de ses rapports avec la centrale syndicale avec laquelle il a réussi à « mettre en œuvre 17 conventions dont le coût a été estimé à 210 millions de dinars ». Les rapports sont d'autant plus apaisés que le gouvernement a récemment consenti une augmentation pour le secteur public pour 2014. Des augmentations qui ont coûté à l'Etat 550 millions de dinars. Mais en parlant des négociations salariales en cours pour les années 2015 et 2016, le chef du gouvernement glisse une alerte qui n'est pas passée inaperçue : « Si les finances publiques restent en l'état, elles ne permettront pas des hausses de salaires ». Pour couronner l'embellie des relations avec l'Ugtt, Habib Essid a annoncé que son gouvernement a déposé un projet de loi portant création du Conseil national pour le dialogue social. Avec une paix sociale, le gouvernement affiche son objectif : dépasser le taux de 5% de croissance nécessaire pour faire sortir le pays du marasme économique. Mais Habib Essid le sait et le dit : pas de croissance forte sans réformes structurelles profondes. « Dans le cadre d'un programme quinquennal qui s'étalera de 2016 à 2020, nous allons concevoir un document d'orientation qui sera soumis à une large consultation », a précisé le chef du gouvernement. Le gouvernement prévoit de grands travaux susceptibles de relancer l'activité économique, notamment avec un élargissement des autoroutes pour faire passer le réseau de 356 kilomètres actuellement à 1000 kilomètres en 2020. Le gouvernement ambitionne également de raccorder « toutes les familles tunisiennes à l'internet, d'ici 2020 ». Opposition totale et soutien indéfectible Du côté de l'opposition, Habib Essid n'a rien apporté de nouveau et manque toujours de vision stratégique. Selon le député du Front populaire Mourad Hmaidi, le gouvernement bute encore sur les projets déjà décidés et non réalisés par les différents gouvernements qui l'ont précédé. Pour lui, le gouvernement n'a même pas su gérer le quotidien et ne peut par conséquent avoir une vision à long terme. « Habib Essid n'a pas donné de réponses claires en ce qui concerne des dossiers essentiels », accuse le député du Front. A titre d'exemple, le chef du gouvernement n'a rien annoncé concernant les entreprises saisies qui étaient des fleurons de l'économie et qui, aujourd'hui, sont à la dérive. Il n'a rien dit non plus à propos de la corruption qui gangrène l'administration aujourd'hui ». Quant au député nahdhaoui Walid Bennani, il estime au contraire que le chef du gouvernement a su, lors de son intervention, faire passer « les messages essentiels ». Walid Bennani affirme que les prochaines réformes seront douloureuses parfois, mais que le chef du gouvernement pourra compter sur le soutien du bloc parlementaire d'Ennahdha. Repères Hier, Habib Essid, chef du gouvernement, a dressé le bilan des cent premiers jours de son gouvernement et annoncé, par la même occasion, les actions prioritaires que celui-ci mettra en œuvre dans les semaines à venir. Parmi ces mesures, La Presse propose à ses lecteurs les plus importantes : – Une consultation élargie sur le plan quinquennal 2016-2020 – Réforme du code de l'investissement qui sera simple, clair et global – Organisation des élections municipales en 2016 – Pose d'obstacles matériels sur une distance de 168 km sur la frontière tuniso-libyenne – Les forces armées se consacreront entièrement à la lutte contre le terrorisme – Un projet de loi pour la création du Conseil national du dialogue social – Environnement : une enveloppe de 158 MD consacrée à plus de 30 programmes.