La brusque dévaluation opérée par Pékin en août dernier a effrayé les investisseurs et précipité l'exode des capitaux... ce qui en retour tire le yuan vers le bas. Comment enrayer les fuites massives de capitaux hors de Chine et stabiliser le yuan, sans restreindre le crédit ? La banque centrale chinoise, critiquée pour sa communication déficiente, peine à résoudre l'épineuse équation et Pékin pourrait renforcer ses contrôles pour stopper l'hémorragie. Les montants donnent le tournis: l'équivalent de 1.000 milliards de dollars, selon les estimations de Bloomberg Intelligence, aurait quitté la Chine l'an dernier. En décembre, ces fuites de capitaux ont atteint un total net d'environ 160 milliards de dollars... davantage que pour tout 2014. Le phénomène reflète les doutes sur la politique économique chinoise, impuissante à contrer l'essoufflement de l'activité et les violentes turbulences des Bourses locales, incitant investisseurs et épargnants à échanger leurs yuans. Mais le principal facteur reste «le scepticisme grandissant sur la capacité de la banque centrale chinoise (Pboc) à tenir sa promesse de maintenir le cours du yuan stable», souligne Mark Williams, analyste du cabinet Capital Economics. Le renminbi (yuan) a reculé face au dollar d'environ 1,3% depuis début janvier, après avoir décroché de 4,5% l'an dernier. La brusque dévaluation opérée par Pékin en août dernier a effrayé les investisseurs et précipité l'exode des capitaux... ce qui en retour tire le yuan vers le bas. La monnaie chinoise peut fluctuer face au dollar dans une fourchette de 2% autour d'un taux-pivot déterminé par la PBOC mais pas imperméable à la forte pression des marchés. Des limitations aux sorties de capitaux sont imposées aux particuliers (50.000 dollars par an), mais elles sont contournables, et les firmes multiplient les surfacturations. Lorsque la Pboc a suggéré mi-décembre que la fixation du taux du yuan devrait être moins dépendante du dollar et adossée à un panel de devises, cela n'a fait qu'accroître la fébrilité générale en laissant les investisseurs dans l'expectative, commente Bank of America Merrill Lynch. Le relèvement des taux de la Réserve fédérale américaine a creusé l'écart avec une politique monétaire chinoise très accommodante, en renforçant davantage le billet vert. Munitions Pékin est confronté à un dilemme, a suggéré le vice-président chinois Li Yuanchao: le régime s'efforce de muscler le rôle du yuan à l'étranger et d'ouvrir son système de changes, mais doit en même temps «s'assurer que le yuan reste stable», au risque d'écorner sa crédibilité après son intégration au panier de devises du FMI. L'effritement du yuan est un coup de pouce pour les exportateurs chinois, mais désormais «le coût des fuites de capitaux surpasse les avantages», selon Louis Kuijs, de Oxford Economics. Soucieuse de freiner la dépréciation, la Chine puise dans ses colossales réserves de devises pour acheter massivement des yuans. Ces réserves ont fondu de 108 milliards de dollars en décembre — une baisse record —, pour tomber à 3.300 milliards de dollars. «A ce rythme, la Pboc aurait des munitions jusqu'à mi-2018, mais elle devra déclarer forfait bien avant épuisement», observe M. Williams. La banque centrale pourrait par ailleurs retarder de nouvelles mesures d'assouplissement monétaire, selon un mémo interne dévoilé par la presse chinoise. La Pboc y refusait d'abaisser encore les ratios de réserves obligatoires des banques, de crainte qu'un «excès de liquidités exerce une pression forte sur le taux de change du yuan». Contrôles durcis ? Si on excepte une dévaluation «en un coup» — pari risqué susceptible de déstabiliser les marchés mondiaux —, les alternatives s'amenuisent pour les autorités, estime Michala Marcussen, économiste de la Société Générale. Selon elle, Pékin pourrait donc «renforcer encore les restrictions sur les mouvements de capitaux». Un durcissement déjà en cours, selon Bloomberg : les autorités ont restreint les achats de devises par les entreprises, gelé des quotas d'investissement à l'étranger, des banques surveillent les transactions en quête d'infractions, et de vastes réseaux de transferts illégaux de yuans ont été démantelés. Mais la «probable intensification des contrôles» n'offre pas de «solution permanente», prévient Bofa Merrill Lynch. Sans compter que cela ajouterait aux signaux contradictoires de Pékin, tiraillé entre ses promesse d'ouverture, son objectif de libre-convertibilité du yuan, et son interventionnisme controversé sur les Bourses comme sur le marché des changes. De l'avis général, le yuan restera sous pression tant que la Pboc — ou le gouvernement, la banque centrale n'étant pas indépendante —ne clarifiera pas ses intentions : un «problème de communication» qui exacerbe les incertitudes des marchés, a pointé justement la patronne du FMI, Christine Lagarde.