Par Khaled TEBOURBI Les troisièmes journées musicales de Carthage amorcent leur dernière ligne droite. Plus que deux petits mois «larges» (d'ici le 9 avril) et la rencontre annuelle des musiques tunisiennes arabes et africaines devrait être prête aux «trois coups». Les programmes seront dévoilés en temps opportun. Mais le débat sur le concept des «journées» n'est toujours pas clos. La discussion a chauffé encore l'autre soir sur la radio nationale entre «nostalgiques» de l'ancien festival de la chanson et partisans du nouveau concours de projets. La polémique date de la création même des JMC en 2010 ; à l'époque, déjà, les gens de la «wataria»(mélodistes, instrumentistes, chanteurs et paroliers) avaient fortement réagi. Les gens de la wataria restent majoritaires dans la profession. Ils détiennent, encore, l'essentiel du marché (galas privés, festivals d'été). La suppression du seul festival de la chanson et l'avènement, en lieu et place, des JMC les a pourtant secoués. Pourquoi ? Au début, ici même, on avait conclu à «une affaire d'argent». On avait dit que les musiciens de la wataria «craignaient pour leur pécule saisonnier». Le festival de la chanson les ramenait fréquemment sur la scène, les «journées» de concerts-projets limitaient leurs participations. En côtoyant de près les uns et les autres (classiques et nouveaux), on a petit à petit compris que les choses étaient «mues» autrement. En fait, on était en présence d'une «confrontation de pouvoir», beaucoup moins que d'une simple opposition d'intérêts. Il se passait qu'une jeune génération musicienne avait comme pris les commandes (à travers la direction des JMC) et qu'une ancienne, celle qui animait et parfois dirigeait le vieux festival, paraissait être reléguée au second plan. Les médias qui ont le «génie» de la formule ont parlé de «guerre ouverte entre académiciens de l'ISM et autodidactes de l'Ertt». En plus clair, la musique semblait «changer de mains». Sans doute pas dans sa pratique courante (on l'a mentionné ci-haut) mais sûrement au niveau de la décision. La désignation à la tête des JMC d'un comité provenant en majorité de l'institut en était le «signe fort». A notre avis, les gens de la wataria, humbles, ont moins craint pour leur argent, que pour leur place au sein d'un art et d'un «corps de métier». Au final, quand on a bien observé le déroulement des choses lors de la session de mars 2015 et à deux petits mois de la prochaine édition, on s'aperçoit que les questions «d'écoles» et «d'esthétiques», voire les «affrontements entre académiciens et praticiens» dont nombre de nos confrères ont fait très (trop ?) largement écho, ne sont que «prétextes» à des «positionnements» dans la profession et auprès de l'establishment. La musique wataria cherche à maintenir une position dominante parce qu'elle sent le souffle de la mondialisation dans le dos. Les musiques nouvelles, elles, les musiques alternatives, les musiques du monde, les musiques mixées, celles des jeunes générations, celles qui trouvent support et audience chez les cadres et le public de l'institut, sentent que les temps ont changé et que le moment est venu pour elles de «s'emparer du flambeau». Trêve d'illusions : pour l'heure, dans la musique tunisienne on n'assiste pratiquement qu'à ça. C'est chapelle contre une autre. S'excluant systématiquement. Dans le déni parfait. Le rejet absolu. Les gens de la wataria, on les entend encore «fustiger» «le vide mélodique du rap», «le mimétisme dilettante du jazz fusion»,«l'incapacité déguisée des musiciens underground», la «dénaturation des musiques du monde». Les jeunes de la nouvelle génération, cadres élèves ou praticiens, n'expriment, pour leur part, que mépris pour une «musique arabe classique qui se répète telle quelle depuis plus d'un siècle ,qui n'a quasiment plus d'horizons». Personne, à vrai dire, ne consent à «faire le pas». Personne, vraiment, ne se hasarde à faire la jonction, à approfondir l'argument. Si quelqu'un le faisait , pourtant, la rencontre se révélerait ô combien évidente, ô combien séduisante. Depuis la naissance de l'Art, le moderne s'est enrichi de l'ancien, et l'ancien n'a jamais survécu que par l'apport du nouveau. Nos «wataristes» et nos «académistes» savent tout cela, ils savent que dans l'art ne compte qu'une vérité : celle du juste et du beau. Tout le reste n'est que chauvinisme, esprit partisan, recherche de pouvoir, positionnement. Ignorance, peut-être encore. Qu'est-ce d'autre quand on décide de se fermer non pas (à la rigueur) à ce qui nous déplaît, mais à ce qui dérange nos petits penchants et nos petites ambitions ? Kundéra citait le peintre Bacon qui, déplorant «l'époque», parlait d'un «modernisme qui ferme la porte», «ne répond plus à la modernité qui l'entoure». Notre génération classique a sans doute le tort de se fermer aux nouvelles sonorités du monde ;mais la génération nouvelle, à force d'impatience et d'orgueil, ferme, elle aussi, la porte à des idées, à des formes, à des structures «anciennes» qui nourrissent l'art musical d'aujourd'hui et de demain. La musique, ici, devrait profiter un peu mieux de la tenue des «journées» pour, précisément, mettre un point final à ces pseudo-conflits, à ces faux «procès». Qui commande et qui décide ? Où est l'intérêt ? Qui montre le juste et le beau ? Il n'y a que cette vérité qui compte vraiment.