Par Hmida Ben Romdhane Après le grave incident du 24 novembre dernier au cours duquel un bombardier russe a été abattu par l'aviation turque au-dessus de la frontière syrienne, Ankara a fait état samedi 30 janvier d'une nouvelle violation de son espace aérien par un avion russe. Moscou a aussitôt démenti les allégations turques, les qualifiant de «propagande sans fondement». La tension entre la Turquie et la Russie fait de nouveau les grands titres de l'actualité internationale avec des accusations et des contre-accusations de part et d'autre. Pour les Turcs, «la Russie porte l'entière responsabilité de toutes conséquences graves résultant d'une telle attitude irresponsable». Pour les Russes, «les déclarations turques concernant la violation présumée de son espace aérien constituent de la propagande sans fondement et que ceux qui accusent la Russie sont des propagandistes qui ont regardé des films d'actions d'Hollywood». Comme d'habitude, l'Otan s'est rangée du côté de la Turquie, ce qui est normal, car que l'incident ait réellement eu lieu ou non, l'organisation atlantiste ne peut être que du côté de l'un de ses membres qui, depuis le 24 novembre dernier, gère maladroitement une crise larvée avec la Russie. En attendant les preuves de cette «violation» de l'espace aérien turc, on n'a vraiment aucune raison d'accepter la version des faits que donne Ankara plutôt que la version donnée par Moscou. Mais supposons un instant que l'aviation russe ait réellement pénétré dans l'espace aérien turc pendant quelques secondes. Est-ce que cela pose vraiment un problème pour un pays habitué à violer lui-même l'espace aérien de son voisin grec plusieurs milliers de fois par an ? Mais admettons que cela pose un problème pour les Turcs, très pointilleux pour leur souveraineté et très peu soucieux de la souveraineté de leur voisin grec et surtout syrien. Si Erdogan, comme il dit, veut réellement de bonnes relations avec la Russie et tient sincèrement à lui faire oublier le malheureux incident du 24 novembre, ce qu'il aurait dû faire, ce n'est pas de prendre la planète entière à témoin, d'alerter l'Otan et d'accuser la Russie d'irresponsabilité, mais d'agir discrètement à travers les canaux diplomatiques bilatéraux, de manière à montrer sa bonne volonté et sa sincérité quant à ses intentions affichées de vouloir de bonnes relations russo-turques. En fait, la situation en Syrie aujourd'hui est telle que le président turc ne peut pas être animé de bonne volonté envers la Russie, ni souhaiter une amélioration de ses relations avec le président russe. La raison est simple : en intervenant à côté des forces gouvernementales syriennes, Poutine a, en quatre mois, renversé le rapport de force sur le terrain en faveur du pouvoir légitime en Syrie et, par conséquent, détruit les visées stratégiques d'Erdogan sur la Syrie qu'il rêve de transformer en pays vassal comme au temps de l'empire ottoman. Mais plus les forces syro-russes avancent vers le nord, plus la colère du président turc grandit et sa frustration s'amplifie. Car les choses deviennent sérieuses, les organisations terroristes les plus féroces perdent du terrain jour après jour et la frontière syro-turque risque d'être scellée très bientôt, ce qui se traduirait par une perte de contact entre la Turquie et ses alliés de Daech, Annusra et Jaich Al Islam, et donc par une faillite totale de la stratégie suivie depuis cinq ans par Erdogan. On voit bien que l'état d'esprit du président turc est loin d'être serein au point de souhaiter une amélioration des relations avec la Russie, bien au contraire. Il n'y a pas que la peur qui est mauvaise conseillère, la colère et la frustration aussi. Il est à souhaiter que le président turc puisse se maîtriser et prendre ses revers syriens avec philosophie. Car, dans son désir de voir une redistribution des cartes en sa faveur dans l'imbroglio syrien, il pourrait être tenté par une grave provocation des forces russes en Syrie dans le fol espoir de déclencher une confrontation directe entre la Russie et les forces de l'Otan. Ce qui est peu rassurant, c'est que la hiérarchie de l'Otan, et en particulier son secrétaire général, Jens Stoltenberg, appellent au «calme et à la désescalade», une attitude qui, heureusement, tranche avec le bouillonnement dont est coutumier le président turc. Les sages de l'Otan, il y en a quelques-uns sûrement, ont une importante mission à remplir en faveur de la paix dans la région du Moyen-Orient et même dans le monde : convaincre leur bouillonnant partenaire que le vrai danger pour l'humanité aujourd'hui n'est pas représenté par les Kurdes qui n'ont jamais rien demandé d'autre que la reconnaissance de leurs droits, mais les terroristes de Daech et d'Annusra qui, dans leur délire insensé, se sont octroyé une mission divine qui consiste à décapiter quiconque refuse de vivre dans l'obscurité et d'aduler la mort. H.B.R.