Il fut un temps où l'événement du 8 février 1958 était commémoré en grande pompe en présence des deux chefs d'Etat tunisien et algérien pour exprimer, de part et d'autre, la profondeur des relations entre la Tunisie et l'Algérie et rappeler aux générations présentes que les deux pays sont, également, unis par le sang. Les présidents Houari Boumediene et Chadli Ben Jedid venaient, assez souvent, à Sakiet, par voie terrestre, rencontrer leurs homologues Habib Bourguiba ou son successeur Zine El Abidine Ben Ali. Mais au fil des années, cet événement symbole tombe de plus en plus dans l'oubli et n'est plus qu'un «détail de l'histoire». Bourguiba refuse de recevoir les émissaires français Cependant, la journée du 8 févier 1958 est une date importante dans l'histoire de la jeune République tunisienne à peine indépendante, deux ans plus tôt. Déclenchée en novembre 1954, la révolution algérienne a pris de nouvelles dimensions après l'indépendance des deux pays voisins, le Maroc et la Tunisie devenue «une véritable base arrière» apportant «son soutien logistique, par le transit des armes, et hébergeant des troupes de l'Armée de libération nationale». Les accrochages entre l'armée française et les combattants algériens deviennent de plus en plus fréquents sur les frontières tunisiennes. C'est ainsi que le 2 janvier 1958, les Algériens réussissent à capturer quatre soldats français et à les ramener dans la région du Kef. Une offense pour la France qui a réagi par l'intermédiaire de son président du conseil, Félix Gaillard. Ce dernier envoie un émissaire, le général Buchalet, au président Habib Bourguiba dans le but de «relancer les négociations franco-tunisiennes et de rappeler au président Habib Bourguiba ses obligations de neutralité». Mais Bourguiba refuse de recevoir «ce militaire qui avait combattu les fellagas en 1954». Comme il refusera plus tard de recevoir le chef de cabinet de Félix Gaillard. Bourguiba déclare à la presse que «La France doit comprendre qu'en général, pour appuyer une protestation ou une frégate pour soutenir une politique, tout cela doit prendre fin. Si l'action continue, je demanderai l'installation d'un régiment de l'ONU aux frontières». 75 morts et 148 blessés Une gifle pour le gouvernement français de la part du président tunisien qui ne tolèrera jamais ce genre de comportement de la part de l'ancienne puissance coloniale ni de la part d'une quelconque autre puissance, comme plus tard les Etats-Unis à la suite de l'attaque israélienne contre Hammam-Chott en octobre 1985. Mais l'incident ne s'arrête pas là, puisque une semaine plus tard, soit le 11 janvier, de la même année «300 combattants algériens de Sakiet Sidi Youssef attaquent en territoire algérien une patrouille française de cinquante soldats», faisant 14 morts et deux blessés. La riposte française est prise au plus haut niveau pour planifier une attaque contre la ville frontalière de Sakiet Sidi Youssef où se réfugient les combattants algériens ainsi que des familles algériennes fuyant la guerre. Le ministre français de la Défense d'alors, Jacques Chaban-Delmas, autorise «l'utilisation de bombardiers lourds». Samedi 8 février, jour de marché, est choisi pour mener le raid programmé contre Sakiet. Vers 10hoo du matin, 25 avions dont «onze bombardiers A-26, six chasseurs-bombardiers Corsair et huit chasseurs Mistral» mènent plusieurs vagues qui n'ont ménagé ni paisibles passants, ni l'école du village remplie de jeunes enfants, ni le matériel de la Croix-Rouge. Le bilan est lourd, 75 morts et 148 blessés, dont une douzaine d'élèves. Descendez de vos grands chevaux La réaction de Bourguiba fut vive. Il expulse tous les consuls français accrédités en Tunisie et «soumet tout mouvement des troupes françaises sur le territoire tunisien à une autorisation préalable», écrit Béji Caïd Essebsi dan son livre «Habib Bourguiba, le bon grain et l'ivraie». Il décide d'internationaliser le conflit en portant plainte auprès du Conseil de sécurité qui décide alors de constituer une «mission de bons offices anglo-américaine». Cette crise ouvre la voie pour l'évacuation totale de l'armée française encore stationnée à Bizerte. «Pour Bourguiba, la bataille de l'évacuation commence». Toujours selon Béji Caïd Essebsi, «la crise de Sakiet Sidi Youssef a marqué un tournant dans les rapports franco-maghrébins en provoquant la chute de la IVe République française et l'internationalisation de l'affaire algérienne. Ainsi, «le cabinet Gaillard est renversé par l'Assemblée nationale le 15 avril», ce qui a ouvert la voie «au retour du général de Gaulle au pouvoir». Dans une lettre du président américain Eisenhoower au président du conseil français Félix Gaillard, publiée dans le journal Le Monde du 14 avril, il lui déclare «descendez de vos grands chevaux, calmez votre aile droite et essayons ensemble de sauver le président Bourguiba et la Tunisie, pour le monde», (dixit Béji Caïd Essebsi). Source : Wikipedia