Une grande exposition s'ouvrant à Vienne le 18 mars prochain. Ce sera la première manifestation d'artistes tunisiens dans la capitale autrichienne, et elle durera trois mois. The Turn, ou le tournant, celui des pratiques artistiques des sociétés arabes d'après le printemps, celui des artistes entrés dans une dimension nouvelle, celui d'une façon inédite d'introduire l'art dans la cité, de lui permettre d'investir la place publique, voilà qui sera l'objet et le thème d'une grande exposition s'ouvrant à Vienne le 18 mars prochain. Ce sera la première manifestation d'artistes tunisiens dans la capitale autrichienne, et elle durera trois mois. Mais revenons à la genèse de l'évènement : au départ, une rencontre : celle de Patricia Triki, photographe, artiste, commissaire d'exposition tunisienne, et de Christine Bruckbauer, historienne d'art, commissaire et activiste culturelle. On connaissait la première par ses travaux et ses expositions. La seconde est autrichienne, elle a vécu au Pakistan, en Angleterre puis en Tunisie. Et dans chaque pays, elle s'impliquait sur la scène artistique locale. En Tunisie, elle a très vite pénétré la scène de l'art contemporain, organisant de petites expositions underground, puis un grand évènement à Berlin où elle permit de mettre en visibilité de nombreux artistes tunisiens. A elles deux, travaillant ensemble depuis 2009, elles ont monté un certain nombre de projets dont «La chronologie», qui voyagea en Europe, «Blasti», et le fameux «livre rose» présenté en Allemagne De retour à Vienne, Christine Bruckbauer souhaitait continuer à travailler pour les artistes tunisiens. De là allait s'élaborer ce projet dont elle et Patricia Triki sont les initiatrices, et les commissaires. Un projet de longue haleine, qui bénéficia très vite de l'intérêt et de la curiosité que suscite en Autriche la Tunisie d'après la révolution. Il allait s'agir de présenter, sous forme d'une exposition dans un lieu fermé, des interventions qui ont eu lieu dans l'espace public, dans la Tunisie post-révolutionnaire, tant en milieu urbain que rural. Autant dire que la gageure n'était pas aisée. Le Kunstraum Niederoesterreich, institution d'art contemporain située au cœur de Vienne, soutient le projet et offre son espace. Le département d'Art Public de Basse Autriche est également partie prenante du projet, affichant ainsi son intérêt. Encore fallait-il mettre en forme et en image ce formidable mouvement démocratique qui porta les artistes arabes à revendiquer l'espace public et à s'engager totalement dans l'action citoyenne. On pensa à une exposition de documents. Mais l'intérêt pour l'évènement avait été éveillé. On voulait en savoir et en voir plus. Quant à la documentation, on en ferait un livre pour lequel on débloqua un budget. On demanda alors aux artistes qui avaient travaillé en espace public, de repenser et reconcevoir leur œuvre pour un espace fermé. La démarche fut aussi passionnante qu'ardue : comment ces installations, ces performances qui eurent si grand succès allaient-elles vivre dans une galerie, un espace consacré au marché de l'art. «Dream City», «De Colline en Colline», «Jerbahood» pourraient-ils être contraints dans les cimaises d'un espace d'exposition traditionnel ? Les artistes se prirent au jeu, on trouva des compromis qui ne lésèrent en rien l'impact de l'œuvre, on préserva les traces des performances et installations, mais aussi des «œuvres-objets». On réserva un département aux archives et documentations explicatives des démarches artistiques, et on sélectionna quelques performances illustrant l'esprit et la lettre de ce «TURN», objet de l'évènement. Et puis, pour répondre à toutes les questions que suscite cette démarche, on décida d'organiser des tables rondes auxquelles seront invités artistes, critiques d'art, experts, théoriciens de l'art, et représentants d'institutions internationales. «Que reste-t-il de ces projets réalisés dans l'espace public ? Quelle a été l'influence des institutions étrangères sur leur financement ? L'implication des artistes étrangers intervenus ? Peut-on mesurer l'efficacité et l'impact de ces actions sur les artistes et la population ? En définitive, quel rôle joue l'art dans une telle période de transformation politique et sociale ?» Nous ne serons pas à Vienne pour voir l'exposition. Mais la réponse à ces questions, s'il y en a, nous concerne tous.