Par Hmida BEN ROMDHANE Trêve, cessez-le-feu ou arrêt des actions hostiles? Peu importe la qualification, même si l'ONU préfère parler d'arrêt des actions hostiles. L'essentiel est que pour la première fois depuis cinq ans, on assiste à une baisse du niveau de violence et on constate un certain soulagement des civils qui commencent à recevoir l'aide humanitaire. Cette trêve semble tenir malgré les accusations mutuelles de violation que se lancent les belligérants et en dépit des attitudes pour le moins ambiguës des pouvoirs régionaux, Turquie et Arabie Saoudite, qui redoutent que cette trêve ne bénéficie au régime syrien et à ses alliés russes et iraniens plutôt qu'à l'opposition armée. Tous les observateurs et tous les analystes s'accordent à dire que les seules forces d'opposition qui ont une présence substantielle sur le terrain sont Daech et Al Nosra, deux organisations terroristes non concernées par le cessez-le-feu. Or la Turquie et l'Arabie Saoudite ne cachent pas leur crainte que la trêve ne donne plus de moyens aux forces gouvernementales et à leurs alliés russes d'affaiblir les deux seules organisations capables de leur tenir tête. Turcs et Saoudiens s'en sont pris durant le week-end aux forces russes et gouvernementales pour « violation du cessez-le-feu », mais eux-mêmes se permettent d'alimenter la violence et de poursuivre obsessionnellement leur objectif initial : la chute du régime syrien. Ce n'est pas une analyse, mais un constat tiré de l'observation de la réalité sur le terrain. Alors que le monde entier prie pour que la trêve tienne et que le calvaire des Syriens prenne fin, la Turquie n'a rien trouvé de mieux à faire que d'ouvrir ses frontières le week-end dernier à une foule de combattants qui, aidés par l'artillerie turque, se sont attaqués à la ville kurde de Tal Abiadh, libérée il y a quelques mois de la barbarie daéchienne. De son côté l'Arabie Saoudite, profondément frustrée du retournement de la situation en Syrie, engluée jusqu'au cou dans l'interminable guerre du Yémen et dépourvue des moyens d'aider de manière décisive ses alliés syriens ou yéménites, se contente de multiplier les conférences de presse où les fanfaronnades du ministre des Affaires étrangères, Adel Jubeir, sont devenues des sujets de plaisanterie. Après les ultimatums adressés à Bachar Al-Assad sommé par le jeune diplomate saoudien de partir de «gré ou de force», nous avons eu droit au manège des avions saoudiens atterrissant à la base turque d'Incirlik et aux annonces d'envoi des troupes saoudiennes au sol. Dimanche dernier, ayant visiblement épuisé toutes ses menaces, Adel Jubeir a répété mot à mot les menaces de division de la Syrie lancées quelques jours plus tôt par le secrétaire d'Etat, John Kerry. Venant de John Kerry, cette menace traduit l'impatience des Américains face au degré de complexité et de violence atteint par le conflit syrien. Mais venant du ministre saoudien des Affaires étrangères, la menace de division de la Syrie traduit un désir caché de jouer cette ultime carte, s'il n'y a aucun autre moyen d'empêcher le retour au statu quo ante, c'est-à-dire une Syrie unie dirigée par la même classe politique qui tenait le pays avant le déclenchement du conflit destructeur. C'est un fait indiscutable que les victoires accumulées par les forces gouvernementales et leurs alliés russes et iraniens depuis le 30 septembre dernier nourrissent les peurs des Saoudiens et des Turcs d'un retour au statu quo ante. Car, si la guerre se concluait par une victoire des troupes syriennes, si le pays était nettoyé des hordes terroristes, si le régime syrien avec ou sans Bachar continuait à diriger le pays dans ses frontières d'avant-guerre, la Turquie et l'Arabie Saoudite subiraient alors la plus grande catastrophe politique et stratégique de leur histoire. Ces deux pays ont tellement investi en argent, en armement et autres soutiens multiformes généreusement fournis à l'opposition armée, qu'une victoire du régime syrien se traduirait ipso facto par un grave affaiblissement des régimes turc et saoudien sur le plan intérieur et par d'importants dégâts pour leur crédibilité et leur réputation sur la scène internationale. Quand on dit que la panique est mauvaise conseillère, cela s'applique aux simples individus, mais cela s'applique aussi et surtout aux Etats. Actuellement, la Turquie et l'Arabie Saoudite sont dans un état de panique totale. Elles sont dans le même état d'esprit de ce parieur qui a mis toute sa fortune sur un tocard et dont on ne sait que, par dépit, quelle catastrophe il serait amené à commettre. Dans une tentative désespérée d'éviter la catastrophe stratégique qui les attend, les dirigeants turcs et saoudiens seraient tentés de commettre une plus grande catastrophe aux répercussions régionales et internationales incalculables. Les Etats-Unis sont loin d'être une référence en matière en matière de sagesse et de rationalité politiques. Cela dit, il est à souhaiter que, cette fois, ils aient assez de sagesse et de rationalité pour surveiller étroitement leurs alliés saoudiens et turcs et leur signifier vigoureusement qu'il y a des lignes rouges à ne pas franchir sous peine d'encourir de graves dangers existentiels. Les Etats-Unis sont loin d'être une référence certes, mais ce qui est un peu rassurant, c'est ce partenariat agréablement surprenant qu'ils ont établi avec la Russie et dont l'objectif est d'éviter que la crise syrienne ne se transforme en détonateur d'une troisième guerre mondiale. Le principal architecte de ce partenariat rassurant est l'ami Poutine que Hillary Clinton, l'une des personnes les plus dangereuses pour la paix du monde, a un jour qualifié de Hitler. A voir ses contributions pour la paix et le bien-être en Afghanistan, en Irak, en Syrie, en Libye et en Ukraine, on ne peut que se rendre à l'évidence qu'il n'y a pas que des Hitler avec «moustache en brosse à dent», mais il y en a aussi en jupons.