Le nouveau concept de « sûreté nationale » ne concerne pas uniquement l'aspect sécuritaire, mais couvre bien d'autres domaines, y compris l'économie Un séminaire international portant sur « Le projet de loi organique sur la confiscation civile comme instrument de lutte contre la corruption » se tient en ce moment à Tunis. Organisé par le ministère des Domaines de l'Etat et des Affaires foncières, c'est Hatem El Euchi, ministre en charge du dossier, qui a ouvert la rencontre hier matin. Il a déclaré à ce propos que les conjonctures nationales requièrent l'implication de tout un chacun pour trouver des solutions et adapter le système juridique aux exigences actuelles. Le ministre a relevé, dans son discours, le droit à la propriété consacré par la Constitution dans son article 41, l'attachement à la justice sociale, au développement durable, à l'équilibre entre les régions. La loi fondamentale stipule également, dans son esprit comme dans ses articles, l'alignement sur le modèle de la discrimination positive. Le ministre a ajouté que ces principes posent la question des possibilités ouvertes quant aux traitements différentiels au niveau du droit. Les organismes internationaux, comme l'Institut interrégional de recherche des Nations unies en matière de crime et de justice (Unicri) et l'Union européenne, ont apporté l'appui nécessaire pour ces assises qui se tiennent sur deux jours. Outre les interventions présentées par les acteurs locaux et des invités comme M. James Shaw, expert auprès de l'Unicri, on compte pas moins de 6 ateliers qui vont traiter de questions associées au thème général, à l'instar des « mécanismes interinstitutionnels pour la mise en œuvre de la confiscation civile ». L'équilibre économique Les deux jours de la rencontre ont vu la participation d'un public initié; des juges, des universitaires et de hauts cadres de l'administration. Notons que la présidence de la première séance du colloque est revenue à M. Chawki Tabib, président de l'Instance nationale de la lutte contre la corruption. La première intervention dont le thème est « La confiscation civile dans la législation tunisienne » a été présentée par M. Riadh Boujeh, président de la commission de la confiscation. Il a précisé à ce titre que le nouveau concept de « sûreté nationale » ne concerne pas uniquement l'aspect sécuritaire, mais couvre bien d'autres domaines, y compris l'économie, et qu'à ce titre les personnes qui portent atteinte par leurs pratiques illicites aux équilibres nationaux devraient être punies par la loi. De son côté, l'UE qui a soutenu cette initiative, laquelle cadre avec le projet régional soutenant les pays en transition, annonce à travers un document que « le recouvrement des avoirs est une dimension importante de son partenariat avec ses voisins du Sud, dont la Tunisie. C'est pourquoi depuis 2015, un soutien technique est proposé afin d'améliorer la capacité des administrations dans l'investigation, la localisation, le gel et la récupération des avoirs illicites ». Le projet de loi organique, objet de la rencontre, comportant 35 articles, a été distribué également en version française, non officielle, on le suppose puisque truffée de coquilles. Le dernier article stipule que « les personnes concernées par la confiscation....peuvent formuler un recours gracieux au ministre des Affaires foncières dans un délai n'excédant pas 6 mois de la date d'entrée en vigueur de la présente loi.... ». La restitution des biens mal acquis L'un des dossiers chauds à avoir tenu en haleine les Tunisiens, au lendemain de la révolution, c'est bien celui-là, les biens mal acquis par l'ancien régime, notamment par les familles régnantes, parentes et alliées. Les Tunisiens, pas seulement les plus optimistes, même des gens sérieux, ont commencé à énumérer les formidables possibilités qui s'ouvriraient si ces biens étaient restitués, si possible rapidement. L'on se souvient que les plus fantaisistes parmi nous s'étaient déjà mis à calculer le montant en dinar qui reviendrait par tête d'habitant. La Banque mondiale, l'ONU, l'UE ont toujours reconnu que restituer « les produits de la corruption est complexe » pour rester dans le vocabulaire mesuré propre à ces instances. Ce sont des procédures longues et compliquées qui obéissent à des protocoles pointus pour faire aboutir les requêtes des Etats, et généralement de manière parcellaire. Sans parler du fait que les sociétés écrans et les montages financiers imaginés par les « spoliateurs » et leurs hommes de main sont tels qu'ils rendent difficile, pour ne pas dire presque impossible, la traque de ces avoirs et leur restitution à qui de droit. En outre, le projet de loi organique bénéficie de l'appui de l'Unicri qui dispose d'un réseau d'experts dans le domaine du recouvrement des avoirs. Précision toutefois, le gel ne court pas à l'infini, « puisque le 28 janvier dernier, le conseil de l'UE a prolongé jusqu'au 31 janvier 2017, le gel des avoirs de 48 personnes, nous dit le rapport préparé à cet effet, considérées comme responsables du détournement de fonds publics tunisiens et de personnes et entités qui leur sont associées ». Pour la petite histoire, ou la grande, nous avons vécu en Tunisie un fait comparable, lequel n'avait obéi en son temps à aucune loi ni procédure légale; la confiscation des biens des beys et de leurs descendants. Des Tunisiens, pas forcément férus de régime monarchique ni beylical, évoqueront toujours l'épisode de ces bijoux brutalement arrachés laissant les lobes des oreilles ensanglantées, et les héritiers bannis qui ont vécu leurs derniers jours dans l'indigence la plus totale et l'humiliation. Moralité, toutes pratiques même celles qui paraissent légitimées par les circonstances, mais échappant à un cadre légal et aux textes de lois, seraient perçues, même longtemps après, comme abusives, arbitraires, revanchardes et donc injustes.