Par Bady BEN NACEUR J'ai déjà écrit, à maintes reprises — depuis une quarantaine d'années ! —, au sujet du rôle très contesté de la Commission d'achat que délègue encore le ministère de la Culture, à travers les galeries, «surtout» privées, à l'occasion d'expositions, de bonne ou mauvaise facture d'ailleurs, dans le but d'enrichir le patrimoine pictural de l'Etat. Le fait d'encourager la création picturale notamment aura été un bien en soi, mais pas forcément une obligation pour le ministère de tutelle qui, à l'époque, ne s'intéressait ni à l'art conceptuel et aux expressions critiques de la réalité tunisienne d'alors ni à la sculpture (l'interdit figuratif tridimensionnel qui fait «ombrage») et encore moins à la gravure et aux estampes ainsi qu'à la photographie — ces pauvres parents de l'art pictural, incompris du grand public — et aux métiers d'art dont nos régions les plus pauvres qui pourraient, en les revisitant, créer de nouvelles «tendances», régénérer leurs métiers et en vivre décemment. Aujourd'hui, justement, la photographie a retrouvé ses lettres de noblesse, depuis l'enclenchement de la révolution tunisienne. C'est grâce à ces soldats de «la chambre noire» — comme on dirait «de l'ombre», ces photographes disparus ou de leur temps, aujourd'hui, que le monde entier a découverts — à travers l'Internet. Cette aube frénétique et majestueuse du peuple tunisien le 14 janvier 2011. Tous ces arts, y compris ceux des récentes explorations, celles des «futuribles» (contraction de «futur» et «possible») utilisant des techniques comme le laser, le vidéographe, l'ordinateur, les installations, les happenings, font aujourd'hui partie des nouvelles tendances, de l'art à travers les spécificités traditionnelles du patrimoine tunisien millénaire : l'art de la statuaire à l'image de la Grèce et de Rome ; celui de la mosaïque qui a inspiré les «pointillistes» ; celui des tapisseries berbères, des margoums et autres techniques du tissage dont Vasarely et consorts se sont inspirés à leur tour. Et que dirais-je des aventures de l'art d'un Néjib Belkhodja, ce géomètre de l'imaginaire, de père tunisois et de mère hollandaise, issu d'une génération généreuse (celle de Paul Klee et de Mondrian) et qui a su générer, à travers ses alphabets, les choses du patrimoine tunisien, au point d'inspirer le village Ken de Slah et Noura Smaoui, du côté de Bouficha ! Et puis, Ridha Bettaïeb, ses abstractions lyriques et géométriques, ce spécialiste du bleu outremer de la Méditerranée, plus beau et plus profond que le bleu de Klein. Enfin, mais je referai un jour la place aux autres, Mahmoud Sehili et ses «médinas enchantées» pleines de chaleur, de mirages et de poésie, à l'image de celles de Mohamed Khedda et du groupe des tatoueurs algériens, des Marocains Melihi, Qacimi et Belkahia, ces artistes de l'«altiplano» nord-africain, le fameux Atlas mythologique qui est un véritable réservoir — non polluant comme celui du pétrole et du gaz de schiste —, un vivier capable d'inspirer les artistes du monde entier. Cette aventure de l'art en Tunisie qui, avec les pionniers, ne déborde même pas un siècle encore, ne fait, à vrai dire, que commencer. Et il faut maintenant laisser la place aux générations montantes qui, à leur tour, seront de nouveaux bâtisseurs de l'imaginaire à leur manière. C'est-à-dire en vivant pleinement leur époque. Mais, avant ce nouveau regain, il faudra déblayer le terrain et remettre de l'ordre dans la vieille maison. Nous avons la chance d'avoir ce «gros bidule» qu'est la Cité de la Culture, abandonnée depuis la chute du dictateur. Il faudra donc y engranger plus de douze mille travaux à travers un musée d'art contemporain et/ou moderne. C'est alors seulement que l'on pourra rendre visibles ces œuvres que nous n'avons plus revues ou qui sont l'objet de spéculations à travers une mafia très organisée! Il n'y a pas de marché de l'art ni de cote des artistes. Alors pourquoi continuer à acheter ? On pourrait aider les artistes d'une toute autre manière en créant des conseils régionaux de la culture et des arts — y compris le théâtre, la musique, la danse, les métiers d'art, etc. — afin de remédier à de telles actions désorganisées et de pure perte. Sfax capitale culturelle nous en donne l'exemple, aujourd'hui. Et nous reviendrons sur ce sujet dans une prochaine édition.