Journaliste à la presse écrite — dont à notre quotidien —, animatrice à RTCI, chanteuse et musicienne folk, Mona Belhadj est entrée dans le domaine des arts plastiques, depuis une dizaine d'années. Elle a pu ainsi fortifier, durant tout ce temps-là, et sans chercher à se faire connaître, son savoir-faire et ses recherches très personnelles à travers le dessin, la peinture et surtout la gravure sur bois. Feu Ali Bellagha, qu'elle fréquentait assidûment, découvrit alors en elle tout l'intérêt qu'elle portait aux choses du patrimoine ancien et même anté-islamique : les métiers d'arts berbères, la richesse inouïe de signes et de symboles. L'un «altiplano» maghrébin aussi merveilleux et étonnamment ressemblant à celui d'outre-Atlantique. Il lui offrit alors un ouvrage, aujourd'hui pratiquement introuvable, du célèbre ethnologue Jacques Rovaud qui, faut-il le rappeler, encouragea Aly Ben Salem à illustrer ses «recherches», ce qui contribua au succès du Pavillon tunisien durant l'Exposition universelle de Paris en 1930 avec Jacques Soustelle, comme responsable et admirateur inconditionnel des arts et traditions populaires de la Tunisie. Les bois gravés et peints de Mona Belhadj le doivent aujourd'hui à la technique du maître Aly Bellagha qui, expert en art des métiers dans son hanoût au centre-ville «Les métiers», puis à l'avenue Jughurta — un demi-siècle débordé jusqu'à son décès —, avait ouvert la voie royale à beaucoup de jeunes artistes-artisans soucieux de la préservation de leurs patrimoines multiséculaires, voire millénaires, en remontant le temps. En utilisant, en effet, la plaque de bois gravée et peinte, le «novopan», friable et propice à la percée du burin, celle-ci n'était plus le support pour des multiples, mais une œuvre unique et à part entière, comme le furent les monotypes à l'époque des encres de couleur ou même du stencil. De la technique du maître au libre parcours Ce petit préambule, aux origines fondamentales de l'artiste, influencé par la technique du maître du «graver comme peindre», est assurément, aujourd'hui, sa meilleure manière de s'exprimer pour dire toute sa sincérité en art, quitte à ne pas se faire comprendre. Il faut d'ailleurs rappeler comme nous l'avons dit que, hormis sa participation à quelques expositions de groupe, c'est la première fois qu'elle monte et montre à l'espace Mille Feuilles — aujourd'hui — une exposition personnelle digne de ce nom à travers ce qu'elle appelle «Un libre parcours». En effet, lorsque vous allez visiter sa «mostra» personnelle pour la première fois, vous avez la subite impression de n'y comprendre rien. C'est comme le disait Baudelaire, si vous entriez dans «une forêt de songes». Les œuvres gravées et peintes — une vingtaine de petits et grands formats, carrés ou rectangulaires — ne vous disent rien sur les techniques de «reproduction» ni sur les thèmes pourtant récurrents et foisonnants à l'envi. Il faut y regarder de plus près, même si Mona Belhadj a, dans ce but, tenté d'offrir aux visiteurs un préalable d'intéressement qui est plutôt d'ordre esthétique et troublant à la fois pour le regard. Les trames du silence Revenons à la tapisserie et aux techniques ancestrales qui fourmillent de tant de signes et de symboles ancestraux. Car là est le second regard que va mener le visiteur, en se rapprochant du tableau. Il y découvrira toutes les intentions réelles et profondes de l'artiste. D'abord — et c'est tactile, vous pouvez toucher la surface burinée de ses œuvres —, les œuvres s'offrent comme les tramés de tapisseries, les plus communes de notre patrimoine. Ensuite, qu'elles recèlent de signes, de figures et de symboles, remontant, non seulement, au Tanit, mais même à des figures emblématiques de la lointaine Berbérie (les Imazigh), les symboles, les images, les icônes que nous foulons parfois à nos pieds sont là. Ils ont pour noms Mouj (les vagues), Yeddek fi yad khouk (ta main dans celle de ton frère), Sninet fâr (la petite dent de la souris), Mettekki mahou-mwalli (celui qui se repose reviendra), Chouket agreb (la piqûre du scorpion) etc, etc. Autant de thèmes-adages, qui figurent sur ces bois gravés, peints et, nous allions dire, de haute lice. Comme dans nos tapisseries traditionnelles. Des œuvres «tramées» dans le bois et qui, de loin, grâce aux chromatismes saisissants, leur donnent des apparences de peintures abstraites géométriques ou lyriques— comme chez Vasarely. Mais regardez-les de plus près, découvrez les signes qui les gouvernent comme des palimpsestes recommencés. Autant de mémoires tatouées, rescapées de l'oubli.