Par Mohamed DAMAK | Docteur en économie politique L'histoire des faits sociaux, économiques, scientifiques et politiques nous a souvent appris quatre cas de figures : Une révolution sociale est le produit de l'accumulation de plusieurs révoltes sociales, qui pourrait aboutir à une révolution politique. Une révolution sociale n'est pas nécessairement la cause d'une révolution politique mais plutôt celle d'une réforme permanente. Une révolution industrielle est le produit d'une révolution scientifique où une nouvelle découverte permettrait d'établir une rupture entre deux ordres industriels, ancien et nouveau. Une révolution politique exige, comme dans le cas d'une révolution industrielle, une rupture avec l'ordre politique ancien, menée par des acteurs politiques partisans. La Tunisie se trouve dans le premier cas de figure mais son achèvement ne pourrait voir le jour que moyennant la mise en place des trois missions suivantes : Un nouveau projet de société ; Un nouveau contrat social ; Un nouveau modèle de développement et une nouvelle politique économique et sociale. Toutes ces missions devraient marquer une rupture avec celles du régime déchu. Il en découlerait l'instauration d'un processus révolutionnaire démocratique manifeste. La genèse de la révolte sociale à la révolution politique demeure inachevée et interpelle l'enjeu de la notion de complot depuis 2011 à nos jours. Toutefois, il y a lieu de rappeler que nous avons vécu un «complot politique interne en 1987 avec Ben Ali contre Bourguiba mais sans qu'il y ait eu de rupture avec le régime politique prévalant. Quand il s'agit de «complot», nécessairement, il va falloir faire intervenir le rôle des acteurs internes et externes, pesant dans un processus de révolution (comme c'était le 1er cas de figure sus-mentionné, compatible avec celui de la Tunisie). Sur le plan politique, après l'échec de la Troika en 2012-2014, ce processus politique, assimilé à une deuxième phase de « transition démocratique », deux acteurs internes majeurs ont joué un rôle déterminant dans l'élaboration de ce qui a été convenu d'appeler le « compromis national », qui est en réalité un «compromis entre Nida Tounes / Béji Caïed Essebsi et Ennahdha/Rached Ghannouchi. En parallèle, les deux acteurs externes, les plus influents et déterminants sont les Etats-Unis et l'Union européenne (notamment, la France). Les autres acteurs accessoires, les pays du Golfe et la Turquie, ont joué un rôle d'intermédiation limité. Sur le plan économique et dans le cadre d'un système de plus en plus mondialisé à caractère sauvage, ce sont les relations internationales menées par les intérêts économiques et financiers qui ont eu le contrôle de l'ordre politique international. Ils ont également influencé les choix des décisions du devenir socioéconomique et culturel des pays comme le nôtre ; et ce, notamment dans les situations de changement des régimes politiques qui ne donnent plus satisfaction aux grands maîtres de l'ordre mondial, de plus en plus libéralisé, ont pu réduire le rôle des Etats à un niveau de pouvoir de contrôle des institutions politiques et économiques de plus en plus marginal et affaiblissant la marge de manœuvre des Etats. Ces géants économiques internationaux appuient les positions de leurs intérêts en faisant intervenir les «agences de notation» qui, tantôt, amélioraient les «performances» des gouvernants de notre pays durant une période tant qu'elles se réalisent en conformité avec leurs propres intérêts, tantôt elles aggravaient notre situation économique et financière dans des moments de crise, notamment politiques, en affectant une mauvaise notation «Risque-Pays». Ce qui obligeait notre pays à suivre aveuglément les choix en matière de politique économique dictée par le FMI et la Banque mondiale, serviteurs par excellence de ces géants économiques et financiers mondiaux. Aussi, il ne faut pas perdre de vue que derrière le développement du terrorisme se cache le dispositif du blanchiment d'argent investi par ces géants économiques et financiers, à travers les fournisseurs d'armes au profit des terroristes. En conséquence, la théorie du «complot» menée par ces acteurs externes rend nos gouvernants (acteurs internes) dans l'obligation de consommer un rôle de soumission. Ce qui compromettait notre «processus démocratique» et leur faisait perdre de vue la construction de notre pays qui devrait émaner, volontairement, de notre souveraineté nationale. Comment va-t-on pouvoir réaliser les objectifs de notre processus démocratique, dépendant d'une gouvernance efficace de la chose publique ? Son renforcement nécessiterait notre capacité de disposer d'un ensemble d'acteurs politiques internes habilités à réaliser les objectifs des trois missions mentionnées ci-dessus. Pour ce faire, nous aurions besoin d'approfondir notre double appréhension et compréhension de ce que nous pourrions qualifier de « processus démocratique inachevé » en le subdivisant en deux phases : De la colère sociale à la contestation politique De la contestation politique à la réussite du processus démocratique, opérant progressivement une volonté politique basée sur notre souveraineté nationale. Crucialement, le maillon faible de notre processus démocratique est la souveraineté nationale. Le moteur essentiel de notre souveraineté nationale aurait besoin de trois conditions : Un grande réforme approfondie des institutions politiques et économiques ; des acteurs politiques compétents : (l'élite) à roder, moyennant un programme de rationalisation (Tarshid) de l'action politique. En conséquence, la mise en place d'un gouvernement capable d'élaborer un programme de politique économique et sociale, soutenue par une réforme permanente dans tous les secteurs ; Une mise en place d'une Instance/Think Tank, chargée d'une mission visionnaire pour un horizon de visibilité de 30 ans, opérant dans les affaires politique, économique, sociale, culturelle et humaine. Cette instance devrait être indépendante des partis politiques. Son personnel devrait être non partisan politiquement, consacré à travailler exclusivement pour le compte de l'Etat, conformément aux exigences de l'intérêt national. Les enseignements tirés des études prospectives de cette instance serviraient, nécessairement, comme données de références exploitables par toutes les familles politiques, aspirant à les adapter à la gouvernance du pays et rendant possibles les réalisations de programmes socioéconomiques, culturels et politiques qui répondent aux attentes nationales. En effet, ces programmes traduisent des choix de décisions souverains. La mission visionnaire et prospective de cette instance «Think Tank» serait en mesure de neutraliser les ego des acteurs politiques et d'instaurer progressivement une maturité éligible à la gouvernance politique dont l'ultime finalité serait l'institutionnalisation d'une nouvelle République, réalisant les objectifs d'un véritable processus démocratique de notre chère patrie.