La hausse des prix des produits alimentaires de première nécessité, qui ont atteint un niveau record, ne sera pas sans conséquences sur la balance commerciale tunisienne, c'est ce qu'affirment tous les experts financiers et économistes tunisiens. Selon le président de la Chambre syndicale des grandes surfaces, Hédi Baccour, une vague de hausse des prix touchera tous les produits et les secteurs, et ce, suite aux répercussions de la guerre russo-ukrainienne sur les prix du carburant, le transport maritime et les matières premières dans le monde. Lors d'une récente intervention sur les ondes d'une radio privée, il a déclaré que « la flambée des prix des matières alimentaires de première nécessité est la conséquence directe de la guerre sur l'Ukraine ». Pour Baccouri, « les prix de la viande rouge vont augmenter inéluctablement car le prix de l'orge fourragère a augmenté sur le marché international. Egalement, les prix des produits laitiers risquent de subir le même sort ». Comme beaucoup d'experts, Baccouri n'a pas voulu se prononcer et a évité toute sorte de prévision sur ces augmentations, « personne ne peut dire comment va évoluer la situation en Ukraine », a-t-précisé. Le responsable de l'Utica a, par ailleurs, dénoncé la consommation frénétique du Tunisien en toute période de crise et a rappelé le rush dans les supermarchés lors de la guerre d'Irak. Les discours rassurants ça existe, mais... ! Abdelhalim Guesmi, directeur général des études et du développement agricole au ministère de l'Agriculture, des Ressources hydrauliques et de la Pêche, a, pour sa part, fait savoir que la Tunisie a déjà acheté son blé auprès de ses fournisseurs, et pourra subvenir aux besoins nationaux, jusqu'à la prochaine récolte céréalière, qui commence vers le début du mois de juin. Il est à rappeler que les besoins nationaux en céréales varient entre 28 et 30 millions de quintaux par an. Guesmi déclare, à travers un discours très rassurant, que nous avons un stock stratégique de deux mois qui reste intouchable, et un autre stock qui sert à couvrir les besoins nationaux quotidiens. « Il n'y a aucune raison de s'inquiéter par rapport à l'approvisionnement », réconforte-t-il. Mais au cas où le conflit russo-ukrainien perdure, il y aura un changement de donnes. « Si le conflit s'inscrit dans la durée, nous aurons dès lors une perturbation du trafic en Mer Noire et des retards dans les livraisons, qui entraîneront des coûts supplémentaires, notamment une hausse des prix du fret maritime », précise-t-il. Et d'ajouter, « la Russie pourrait faire de la rétention de l'or jaune pour conserver ses propres stocks. Aussi, si les infrastructures en Ukraine subissent d'importants dégâts, cela risque d'entraver l'acheminement du blé du centre du pays jusqu'au port d'Odessa, où se chargent les navires pour l'exportation ». Anis Ben Rayana, expert en agriculture, a intervenu sur les ondes d'une radio privée pour parler du secteur agricole tunisien et rappeler, qu'en février, l'indice FAO (il s'agit d'un indice qui mesure la variation mensuelle des cours internationaux d'un panier de produits alimentaires de base) a augmenté de 3,9% par rapport au mois de janvier 2022, et de 24% par rapport à l'indice des prix en février 2021. Ben Rayana explique qu'« en une année, l'indice des prix a augmenté de 25%, ce qui affectera par conséquent la balance commerciale en Tunisie, en raison de la hausse des produits au niveau mondial, et particulièrement les prix des huiles. Les surfaces de culture de la tomate seront réduites en Tunisie, en raison des stocks qui sont estimés à 183.000 tonnes tandis que les besoins ne dépassent pas 90.000 tonnes ». Une situation qui n'arrange pas les choses, surtout avec les multiples crises que connaît la Tunisie. Le déficit de la balance commerciale De son côté, le docteur en sciences économiques, Aram Belhadj, pense que la crise russo-ukrainienne aura inévitablement des répercussions négatives, aux niveaux commercial, économique et financier. Il explique qu'au niveau commercial, « en plus du Brent qui culmine à plus de 110 dollars, la hausse des prix du pétrole aura des répercussions sur le budget de l'Etat et sur l'enveloppe globale allouée à la subvention, même si l'Etat augmente les prix de vente des carburants à la pompe ». Pour lui, le déficit de la balance commerciale de la Tunisie va se creuser davantage en valeur, puisque le pays importe une bonne partie de ses besoins en énergie. « À l'heure du conflit militaire en Ukraine, la plupart des pays cherchent à sécuriser leur approvisionnement en pétrole et en blé, d'où une demande croissante pour ces deux matières premières. La rupture des flux logistiques à travers la mer Noire et le défaut de livraison ont affolé les marchés, entraînant à la hausse les prix de l'or noir et de l'or jaune », lit-on dans une dépêche de l'agence de presse turque. D'après cette même source, Belhaj explique que « tant que le conflit perdure, il entraînera l'envol des prix de l'or noir ainsi qu'une demande croissante de pétrole, et partant, un déficit budgétaire qui devrait se creuser davantage au risque de devenir particulièrement handicapant ». Pour Belhadj, les répercussions à long terme du conflit sur les finances publiques de la Tunisie seront assez conséquentes, et ce, même après l'arrêt des hostilités en Ukraine. Sur un autre plan, l'expert explique que la crise en Europe orientale aura un impact sur le taux de change en Tunisie. « L'effondrement du rouble, par rapport au dollar américain, va entraîner une nouvelle appréciation du billet vert sur le marché des changes par rapport aux autres monnaies, profitant de son statut de « valeur refuge » dans un marché inquiet ». Coup sur coup Dépendante du blé ukrainien, la Tunisie connaît une pénurie sans précédent des produits de première nécessité. Une situation qui devrait s'aggraver avec la levée prochaine des compensations de l'Etat et la flambée du prix du baril. L'ex-ministre des Finances, Houcine Dimassi, estime, en ce qui le concerne, que la dernière augmentation des prix de vente des carburants à la pompe en Tunisie, décidée, fin février dernier, revient au chaos du marché mondial du pétrole, où le Brent a dépassé le seuil des 100 dollars le baril, sous l'effet du conflit russo-ukrainien. Il affirme que le gouvernement est dans l'obligation de revoir à la hausse les prix du carburant, afin d'amortir un tant soit peu la compensation des hydrocarbures, qui s'élève à 40% du budget consacré à la subvention en Tunisie. « Chaque augmentation de 1 dollar par baril, nécessite des financement supplémentaires qui s'estiment à 130 millions de dinars annuellement », mentionne-t-il. Ainsi, si le prix moyen du baril se maintient à 100 dollars pour l'année 2022, la Tunisie risque d'avoir des charges financières supplémentaires dans son budget qui dépassent les 4 milliards de dinars, surtout que le gouvernement avait tablé sur un prix moyen du baril de l'ordre de 75 dollars dans le budget de l'Etat 2022. « Nous en sommes à parler de la disponibilité des aliments de base au lieu de prendre des dispositions pour parer aux contraintes dues aux bouleversements internationaux », déplore également Noureddine Taboubi, secrétaire général de l'Ugtt lors d'une récente conférence. Sucre, farine, semoule, huile, pâtes, riz ont complètement disparu de la circulation. Depuis la Seconde Guerre mondiale, la Tunisie n'a pas connu une telle situation de précarité alimentaire. Les magasins sont pris d'assaut, et les étalages sont toujours vides malgré certains discours qui se veulent rassurants. Ne pas pouvoir s'approvisionner en pain est la chose qui inquiète le plus le Tunisien qui n'arrive plus joindre les deux bouts.