«Cela s'est passé le 27 1981 au stade d'El Menzah à l'occasion d'un match de championnat national Club Africain-Sfax Railways Sports (1-1). Mon destin bascule sur une action anodine dans la surface de réparation clubiste. Comme d'habitude, je saute pour reprendre le ballon de la tête. La routine, quoi. Sauf que le gardien, Slim Ben Othmane, bloque de manière irrégulière ma détente, m'assénant du genou un coup terrible aux côtes. La douleur est insupportable au point que je m'évanouis. Je ne réalise plus ce qui m'arrive. De suite, le médecin du CA, Dr Taïeb Litaïem, que j'ai pris l'habitude de fréquenter également en sélection, vient à mon secours. Le président clubiste, Azouz Lassram, arrivera par la suite à mon chevet. On me transporte d'urgence à l'hôpital où je suis opéré et gardé sous observation. Dans ma tête, un monde s'écroule, celui d'une vie consacrée à ma carrière sportive. Désormais, ce n'était plus que vide sidéral, ennui. Adieu SRS, équipe de Tunisie, entraînements, stages...! Finies les joies et les larmes engendrées par le foot! Il fallait tirer un trait dessus. D'un seul coup. Le malheur, c'est que mon propre club n'a pas daigné prendre en charge les frais de mon hospitalisation. La compagnie des chemins de fer non plus, elle qui parraine le SRS. Il a fallu que des supporters «jaune et noir» m'apportent leur soutien, bien sûr dans la limite de leurs moyens, qu'ils en soient remerciés. Mon premier sentiment a été celui d'être marginalisé, négligé et livré à moi-même. Depuis, j'ai trouvé de l'énergie pour remonter la pente et me reconstruire. Mentalement, mais aussi physiquement car les séquelles sont toujours là, parfois atrocement douloureuses. Elles me reprennent de temps en temps. Maintenant, par exemple, c'est le genou. Dernièrement, j'ai été opéré à ce niveau. Soyons réalistes, il n'y a rien à faire, «Mektoub». Et c'est un simple accident de jeu. Donc, je n'en veux pas à Slim Ben Othmane. Aucun grief contre lui. «La chambre des semi-morts» Je veux positiver. J'ai échappé à la mort. En me réveillant, je me suis aperçu que l'on m'a admis dans la chambre des semi-morts, si je puis dire. Je remercie Dieu pour m'avoir gardé pour mes deux enfants. Quand je revois le long parcours effectué depuis la catégorie cadets où j'étais déjà convoqué en sélection. Quand défilent les images de mes conquêtes avec l'équipe nationale «A» et les campagnes des Jeux méditerranéens d'Izmir en 1971 et de la Coupe de Palestine, à Tripoli en 1973, c'est un bail de 24 ans que je revisite. Un quart de siècle, dont au moins deux décennies au service des sélections nationales, ce n'est pas rien! En portant les couleurs nationales, nous assumions la lourde responsabilité de défendre le prestige de notre pays, avec le cœur, la passion. Sans fausse modestie, dois-je rappeler qu'une large frange du public raïlwayste venait au stade rien que pour savourer les productions de Chakroun. Comme le faisaient les milliers de fans du Club Sfaxien pour déguster les «inventions» d'un artiste éternel, Hamadi Agrebi, avec lequel me lient des relations privilégiées. A ses débuts, je lui avais prédit une grande carrière, je ne peux dire que du bien de lui. Il illustre parfaitement une incomparable lignée de joueurs qui ont pratiqué le foot pour le foot. Une race en voie de disparition. Ajoutez dans son cas une modestie extrême confinée à de la timidité. En tout cas, Hamadi et moi, nous sentions que les arbitres ne nous protégeaient pas suffisamment comme ils le font aujourd'hui. Les grands bourreaux jouissaient d'une totale impunité. Nous en avions bavé. Les règlements ont, depuis, été corsés dans le sens de la protection des créateurs du jeu. Je ne sais pas exactement ce que tout cela donne puisque, aujourd'hui, j'ai divorcé avec le foot. La rupture brutale et définitive fait que ce jeu ne me dit plus rien.