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«L'impact de cette affaire dépend des intentions de ses alerteurs» Trois questions à ... Achref Jabri, expert-comptable et spécialiste de la question du blanchiment d'argent
L'affaire Panama Papers n'en finit pas de faire couler beaucoup d'encre et susciter l'intérêt de l'opinion publique. Mais a-t-on vraiment pris le recul nécessaire pour comprendre cette affaire? L'expert-comptable Achref Jabri, spécialiste de la question du blanchiment d'argent, nous propose un éclairage légal sur cette affaire L'affaire Mossack Fonseca a pris des propositions internationales suite à une grande médiatisation, mais est-ce en réalité une goutte dans un océan de fraude fiscale au niveau mondial? Tout d'abord, il ne s'agit pas seulement de fraudes fiscales. Avoir recours à cette firme et la création d'une société offshore peuvent avoir plusieurs autres motifs allant de la détention illégale de devises et de leur transfert jusqu'à la simple optimisation fiscale en passant par la dissimulation d'activités illicites. L'affaire Mossack Fonseca a pris des proportions internationales comme toutes les autres affaires de divulgation de données qu'a connues le monde durant ces dernières années, telles que l'affaire Wikileaks et l'affaire Swissleaks ou USB leaks. La particularité de l'affaire Mossack Fonseca réside non seulement dans le volume des données divulguées, c'est la plus grande fuite de tous les temps, mais aussi dans la diversité des personnes impliquées par rapport à leurs origines, leurs activités ou leurs statuts. En effet, il s'est avéré que l'évasion fiscale, l'évasion de devises et la dissimulation d'activités, ne sont pas limitées à une catégorie de personnes bien déterminées mais peuvent concerner, outre les hommes d'affaires, les politiciens, les sportifs et autres célébrités. Ceci dit, aller jusqu'à dire qu'il s'agit d'une goutte dans un océan n'est pas tout à fait correct, puisqu'il s'agit là d'une des plus grandes firmes de domiciliation de sociétés offshore, si ce n'est la plus grande, présente dans plusieurs paradis fiscaux et signalées par plusieurs pays. Toutefois, il demeure entendu que la médiatisation de cette affaire a joué un rôle important dans la propagation de l'information et l'implication d'une masse importante de la population mondiale et locale, toutes composantes confondues : les autorités, les politiciens, la société civile et même le citoyen ordinaire. Ce partage massif et rapide de l'information dans le monde et en Tunisie reflète une organisation et une cohérence dans l'action des journalistes appartenant au Consortium international de journalistes d'investigation (Icij). De toute façon, je crois que l'étendue de l'impact dépend des intentions des parties qui ont initié l'action, et cette fois-ci on sent qu'il y a eu déploiement de moyens importants. Créer une société offshore n'est pas illégal en soi, quelle est, alors, la limite entre optimisation fiscale et fraude fiscale? La limite entre optimisation fiscale et fraude fiscale dépend de la législation locale du pays de résidence de la personne concernée. En général, l'optimisation fiscale par la création de sociétés non résidentes consiste à délocaliser l'activité ou une partie de l'activité hors territoire de résidence du promoteur afin de bénéficier d'avantages fiscaux qu'accordent certains pays. Cette délocalisation se fait dans la légalité et généralement vers des pays organisés par une législation claire et ayant des transactions commerciales et économiques avec le reste du monde régies par des textes locaux et des conventions internationales dûment établies. Par contre, le blanchiment de la fraude fiscale se fait à travers la création de sociétés dans des paradis fiscaux. Ces derniers offrent non seulement des incitations fiscales alléchantes mais aussi les garanties du secret des transactions et du patrimoine. Ainsi, une personne, morale ou physique, qui investit dans les paradis fiscaux cherche à éloigner son patrimoine et ses revenus du contrôle des autorités auxquelles elle est soumise. Bien entendu, lorsque les objectifs sont illicites, les sociétés off-shore ne sont pas seulement liées à l'évasion fiscale mais aussi à d'autres types de délits et de crimes. Que dit la loi tunisienne de tout ça ? Il y a plusieurs volets de la législation tunisienne qui peuvent avoir un lien avec les sociétés offshore. Il s'agit surtout de la réglementation fiscale, la réglementation de change et la loi relative à la lutte contre le terrorisme et à la répression du blanchiment d'argent ainsi que d'autres réglementations plus générales liées à la corruption, à la malversation et aux activités illicites, commerciales et non commerciales. D'un point de vue fiscal, les règles applicables aux personnes morales (sociétés) diffèrent des règles applicables aux personnes physiques. En effet, une personne morale établie en Tunisie est imposable seulement à concurrence des bénéfices réalisés à travers les établissements installés en Tunisie et une personne morale non-établie en Tunisie est imposable sur les bénéfices réalisés en Tunisie même si elle n'y possède pas d'établissements stables. On parle là du principe de la territorialité de l'impôt. Donc, le bénéfice réalisé à l'étranger par une société résidente à travers un établissement stable situé à l'étranger n'est pas imposable en Tunisie. Ce principe peut encourager les sociétés à créer des établissements à l'étranger là où la charge fiscale est moins importante. Par ailleurs, il convient de préciser que ce choix n'est pas toujours très rentable, puisque l'activité export (revenus de sources étrangères) bénéficie d'avantages considérables en Tunisie, sauf pour certaines activités où le choix d'une entité offshore peut s'avérer fructueux et là on se trouve dans le cadre de l'optimisation fiscale. Pour les personnes physiques, le principe est l'imposition en Tunisie du revenu global annuel de toute personne résidente sauf quelques exceptions prévues par les conventions bilatérales de non-double imposition. Ainsi, une personne physique serait tentée de dissimuler une partie de ses revenus afin d'échapper à l'impôt sur les revenus. Cette évasion est d'autant plus facile lorsqu'il s'agit d'activité ne donnant pas lieu à la livraison de marchandises telles que les activités non commerciales, le consulting, l'ingénierie, le développement informatique...Il convient de préciser également à ce niveau que les revenus provenant de l'export (services consommés à l'étranger et payés par des entités non-résidentes) bénéficient d'avantages fiscaux importants en Tunisie, ce qui rend infructueuse la délocalisation de l'activité pour échapper à l'imposition des revenus provenant de l'étranger, sauf s'il s'agit d'une prestation livrée en Tunisie et dont le bénéficiaire possède des fonds à l'étranger qu'il peut virer au profit d'une société offshore loin du contrôle fiscal et financier. Par contre, la particularité du régime applicable à une personne physique réside dans la possibilité d'imposition selon les éléments de train de vie, notamment en cas de contrôle fiscal préliminaire ou approfondi. C'est la fameuse question «D'où vient votre fortune». A cet effet, dissimuler une partie de sa fortune à l'étranger est un moyen d'échapper à ce mode d'imposition et, dans le fait, les avoirs dissimulés dans des sociétés offshore font partie de la fortune d'une personne physique même si les deux entités sont juridiquement indépendantes.