La juge Faouzia Becha Amdouni: l'argent du pétrole ne passe pas par la Banque centrale L'Instance nationale de lutte contre la corruption, en collaboration avec la Coalition tunisienne pour la transparence dans l'énergie et les mines, a organisé jeudi une conférence sur le thème «Quelle transparence dans le secteur énergétique?». Malgré l'importance du sujet et les invitations envoyées par le service de communication aux députés de l'Assemblée et aux hommes politiques, seuls Samia Abbou et Rached Ghannouchi ont répondu présent. Le président de l'instance, Chaouki Tabib, a déploré, lors de son mot d'ouverture, l'opacité qui caractérise le secteur de l'énergie. « Il existe une suspicion de corruption dans ce secteur, a-t-il lancé. Une suspicion qui ne sera levée qu'avec plus de transparence, loin du populisme et loin du régionalisme ». Il s'est également interrogé sur la législation tunisienne et sa capacité à permettre plus de transparence conformément à l'article 13 de la constitution qui dispose que «les ressources naturelles appartiennent au peuple tunisien. L'Etat exerce sa souveraineté sur ces ressources au nom du peuple. Les contrats d'investissement qui y sont relatifs sont soumis à la commission spécialisée de l'Assemblée des représentants du peuple. Les conventions conclues, portant sur ces ressources, sont soumises à l'Assemblée pour approbation ». Il a également appelé à ce que les entreprises qui exploitent les ressources naturelles de notre pays prennent leurs responsabilités sociales et environnementales. Non-publication des contrats De son côté, Wissem El Heni, chef de projet à l'Institut de gouvernance des ressources naturelles, a donné des statistiques sur les pays qui ont choisi d'être transparents et de publier les contrats signés avec les entreprises opérant dans le secteur. Ils ne seraient en fait que 20 pays, parmi lesquels le Yémen, l'Irak, Bahreïn et la Mauritanie, qui ont accepté de publier le contenu des contrats, soit de manière totale, soit de manière partielle. En termes de transparence, la Tunisie est classée 28e mondiale et totalise 49 points sur 100 (soit un point inférieur à la moyenne). « Nous n'avons pas de culture de publication de l'information en Tunisie, explique-t-il. Certains contrats engageant l'Etat et des entreprises étrangères sont même rendus publics dans d'autres pays comme le Canada, mais pas en Tunisie. Certaines entreprises, à l'instar d'ENI, publient les contrats dans d'autres pays où elle exerce, mais pas en Tunisie ». Wissem El Heni rappelle que certains constituants ont tenté en vain d'inclure dans ce fameux article 13 de la constitution l'obligation de publier les contrats. Plusieurs raisons peuvent pousser les entreprises à être hostiles à la publication des contrats. En effet, celles-ci estiment parfois que les contrats contiennent des informations commerciales « très sensibles » qui pourraient dégrader leurs avantages compétitifs dans le futur. Des prétextes qui ne convainquent pas les défenseurs d'une transparence totale dans le secteur. Pour sa part, Faouzia Becha Amdouni, juge et présidente de l'Association de protection des ressources naturelles, a fustigé le comportement des autorités et des élus à l'égard des dossiers de l'énergie. A titre d'exemple, elle se demande pourquoi le ministère de l'Energie continue à douter de la pertinence des rapports établis par la Cour des comptes et qui font état de cas de suspicion de fraudes. « Ceux qui ont peur de publier les contrats de l'énergie ont forcément quelque chose à dissimuler », a-t-elle indiqué. La BCT zappée En discussion à l'ARP au sein de la commission de l'énergie, le renouvellement du permis de l'entreprise Perenco suscite également le débat. Faouzia Becha Amdouni a expliqué que l'entreprise dispose d'un permis d'exploitation de 30 ans qui prend fin en 2020. « La loi ne permet pas un prolongement du permis d'exploitation, elle permet à la Tunisie de remettre en jeu les puits de Beguel et Frenigue et de choisir la meilleure proposition en termes de partage de la production, explique-t-elle. Or le ministère de l'Energie recommande de prolonger ce permis pour 25 années supplémentaires, et il semble bien que le parlement se dirige vers l'approbation de cette prolongation malheureusement ». La juge ne s'arrête pas là, elle qualifie la Tunisie dans le secteur de l'énergie comme « une plateforme de blanchiment d'argent », puisque l'article 129 du code des hydrocarbures permet l'octroi de permis par simple signature du ministre de l'Energie et qui permet également aux entreprises pétrolières de ne pas passer par la Banque centrale de Tunisie lorsqu'elles font sortir ou entrer de l'argent du pays. « Ces entreprises passent par les banques privées. L'argent du pétrole ne passe pas par la Banque centrale. Certaines entreprises, parfois fictives, font de la spéculation sur les permis de prospection, elles achètent des permis puis les revendent alors qu'elles n'ont creusé aucun puits dans le pays», affirme-t-elle. Rapports des instances Les dépassements dans le secteur de l'énergie ont été confirmés par la Commission nationale d'investigation sur les affaires de corruption et de malversation, présidée par feu Abdelfattah Amor. Dans son rapport n°27 publié en décembre 2012, la Cour des comptes a également relevé des anomalies dans ce secteur. Il est également à signaler que les structures de contrôle internes de la présidence du gouvernement, du ministère des Finances et du ministère des Domaines de l'Etat ont relevé un certain nombre de dépassements. Un retard de 14 ans ! Dans son rapport de 2012, la Cour des comptes note un manque de contrôle des permis accordés. De plus, l'Etap (Entreprise tunisienne des activités pétrolières) n'évalue pas a priori les dépenses des travaux de prospection et engage des fonds dans des travaux parfois douteux. Selon le même rapport, certaines entreprises ne paient pas à l'Etap des pénalités en cas de manque ou de non-réalisation des travaux. Alors que la loi exige un audit sur les dépenses engagées dans les 24 mois qui suivent l'accord, la Cour des comptes a relevé des retards de 6 ans, voire de 14 ans, pour Beguel et Frenigue, exploités par l'entreprise franco-britannique Perenco. Bientôt, la publication des contrats ? Dans une interview accordée à la radio Express FM, le ministre de l'Energie et des Mines, Mongi Marzouk, a annoncé que «tous les contrats conclus en matière de gestion et d'exploitation des richesses naturelles du pays seront bientôt publiés». Une décision qui vise, selon lui, à « assurer une plus grande transparence et éviter tout soupçon sur certains contrats », tout en précisant que cette décision a été prise depuis février. Mongi Marzouk s'est également dit prêt à « coopérer avec les organisations et les associations souhaitant obtenir des informations.