Par Jawhar CHATTY C'est un haut commis de l'Etat qui, demain, lundi, va rencontrer le chef de l'Etat. Il ira s'enquérir auprès de lui d'une initiative dont il a, soutenait-il, appris l'objet quelques minutes seulement avant le démarrage de l'entretien que le président de la République avait accordé jeudi à la télévision nationale. Au fond, c'est peut-être là le problème de Habib Essid. Il réagit aux évènements et communique en haut commis de l'Etat, un habit qu'il n'a jamais su quitter. L'interview présidentielle aurait pourtant pu faire enfin de lui un politique s'il avait su tirer les conclusions que tout homme politique aurait normalement tiré d'un désaveu présidentiel à termes à peine voilés. Pour un politique, tirer, en pareil cas, les conclusions ne signifie pas forcément démissionner mais savoir donner à voir et à temps qu'il a parfaitement saisi le message qui lui était destiné. Habib Essid avait, dès le début, probablement été choisi à ce poste parce que justement il n'est pas un politique. Aujourd'hui qu'il est poussé vers la sortie, on aiguise en dignes Tunisiens les couteaux comme pour rester fidèle au proverbe "quand la vache est à terre ...". On oublie seulement que le chef du gouvernement n'est pas le seul responsable du sombre tableau qu'avait dressé jeudi dernier le président de la République. Que les sources de la profonde crise que connaît aujourd'hui le pays ont aussi pour noms : partitocratie, corporatisme et syndicalisme, qui, sur fond de discours populistes, de petits calculs politiciens, d'alliances et de contre-alliances politiques, sont devenus synonymes d'inertie, d'immobilisme et de blocage. Premier ministre atypique, président de gouvernement tout aussi atypique, Habib Essid n'est de fait (et constitutionnellement) ni le Premier ministre exécutant des humeurs de la présidence de la République, ni tout à fait un président de gouvernement qui, selon la Constitution, devrait être le chef de la majorité au sein du Parlement. Ce statut, ce non-statut plutôt, était depuis le début une fâcheuse source d'instabilité pour le gouvernement et d'inconfort pour son chef. Avec Bourguiba, il y avait le Premier ministre fusible qui pouvait sauter au moindre dérapage et à peu de frais. Avec Caïd Essebsi, il y avait jusqu'à ce jeudi tout au moins un Premier ministre, président du gouvernement-condensateur. C'est-à-dire celui qui encaisse les coups et les charges opposées en attendant la surcharge et l'emballement du moteur ! Ce qui, aujourd'hui, semble être le cas. « Le financement du budget 2017 sera difficile à boucler à la lumière de l'insuffisance des ressources fiscales de l'Etat qui ne couvrent pas les dépenses courantes, notamment les salaires dans le secteur public et le soutien des entreprises et des budgets des caisses sociales », a affirmé vendredi Chedly Ayari, gouverneur de la Banque centrale. L'idée d'un gouvernement d'union nationale a, à cet égard, le grand mérite de provoquer le choc positif que tout le monde attend, surtout qu'elle fait l'unanimité au sein de la classe politique en dehors bien sûr des forces politiques qui cultivent l'oppositionnisme systématique. Il s'agit maintenant de donner un contenu à cette onde de choc en se fixant un programme de gouvernement clair qui tirerait sa force d'un consensus responsable et franc entre les grandes formations politiques et les forces syndicales. Un consensus qui sera porteur d'action et qui nous fera enfin oublier les fâcheuses expériences des compromissions stériles et des consensus mous. Peut-être pouvons-nous alors espérer sortir de l'immobilisme et pouvoir enfin avancer.