Poussé vers la porte de sortie, harcelé de toutes parts et menacé d'être «malmené», Habib Essid fait de la résistance et préfère s'en remettre à l'Assemblée des représentants du peuple pour décider de son sort. Il a officiellement sollicité, mercredi 20 juillet, «un vote de confiance relatif à la poursuite des activités du gouvernement», et ce, conformément à l'article 98 de la Constitution. Démissionner est pour lui synonyme de déserter. Or, un soldat ne déserte pas le champ de bataille. Un tantinet lucide, un tantinet cachottier, il explique son choix par le fait qu'à part la démission qui est pour lui exclue, c'est la voie la plus rapide pour régler la question. Et il s'est engagé avec Béji Caïd Essebsi, à qui il reproche la manière dont il a présenté l'initiative sans en parler avec lui, à accélérer les procédures pour en finir avec cette histoire le plus vite possible. Une période faite d'incertitude Entretemps, le pays est entré dans une période de flou, faite d'incertitude et d'expectative. Cinq ans et six mois après cette fameuse journée du 14 janvier 2011 qui a vu le départ précipité de l'ancien président Ben Ali et la chute de son régime, la Tunisie patauge encore dans une crise politique et ne parvient pas à dessiner un véritable projet de société ni à répondre aux aspirations de ses citoyens. Trois élections générales, organisées en toute transparence, un changement de majorité à l'Assemblée et l'arrivée de Béji Caïd Essebsi à Carthage et de son parti Nida Tounès au Bardo avaient suscité beaucoup d'espoir qui, malheureusement, se trouve, aujourd'hui, déçu. Un gouvernement formé sur la base d'un partage entre quatre partis de divers horizons mais qui rassemblent plus des trois quarts des députés, avec à sa tête une personnalité jugée indépendante jouissant de plusieurs qualités humaines et professionnelles et qui, de surcroît, bénéficiait du soutien du président de la République dont elle a été ministre de l'Intérieur dans le gouvernement de transition en 2011. Même si au regard de l'étranger, la Tunisie semble réussir sa transition dans le calme et la sérénité, et ce, comparativement à d'autres pays de ce qui est faussement appelé «Printemps arabe», il n'en demeure pas moins qu'elle s'est enlisée dans une profonde crise sociale et économique. L'économie est à plat et la grogne sociale monte et menace le fragile équilibre tant recherché mais jamais instauré. En 18 mois et quelques poussières, le gouvernement a fait face à plusieurs difficultés conjoncturelles, endogènes et exogènes, qui ont freiné la croissance économique et accentué l'exaspération de plusieurs franges de la société. Attaques terroristes sanglantes qui ont frappé au cœur le secteur touristique représentant 7% du PIB, arrêt de travail, grèves sporadiques qui ont plombé la productivité, le tout sur fond de crise politique qui touche pratiquement tous les partis et notamment Nida Tounès. Dans cet embrouillamini, le président de la République a proposé, le 2 juin dernier, un projet de sortie de crise sous la forme d'un «gouvernement d'union nationale», réussissant à rallier à son initiative neuf partis politiques dont les quatre de l'actuelle coalition au pouvoir et trois organisations nationales. Elle s'est soldée par la signature, le 13 juillet, d'un document appelé «Pacte de Carthage» et dont le parachèvement nécessite la mise en place d'un nouveau gouvernement. Mettant ainsi Habib Essid sous forte pression. «Tout ça pour ça» Lors de son interview diffusée dans la soirée de mercredi 20 juillet sur la chaîne privée «Attassia», Habib Essid s'est cantonné dans sa réserve légendaire, celle d'un haut commis de l'Etat qui voulait «ménager la chèvre et le chou». On s'attendait, en effet, à des révélations fracassantes, on a eu droit à des redites. On s'attendait à des réponses aux critiques formulées contre son gouvernement, on a eu droit à des caresses dans le sens du poil. Pour Habib Essid, «tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil». Avec un regard vide comme quelqu'un qui sent son sort scellé mais qui entretient encore un espoir, aussi infime soit-il, de desserrer l'étau qui se serre autour de lui. Et un air distant qui cache mal une amertume qui le broie de l'intérieur. Même ceux qui l'ont attaqué de manière frontale et peu élégante, ont été épargnés. Passe pour l'initiateur du projet du gouvernement d'union nationale, le chef de l'Etat, Béji Caïd Essebsi, qui a eu droit à des louanges dithyrambiques. «Tout ça pour ça», dirions-nous ! Habib Essid n'est pas un bon communicateur et on le sait. Il peine à transmettre ses messages et il a du mal à convaincre, en dépit des bons arguments dont il dispose. Il est un bosseur né, un travailleur infatigable et un haut commis de l'Etat qui a appris à respecter les institutions, les fonctions et les hommes. Durant les 18 mois passés à La Kasbah, il s'est forgé une autre personnalité, celle d'un homme qui sait encaisser sans broncher et qui, au fil des mois, s'est rendu à l'évidence qu'un jour il se retrouverait seul, lâché par tous ceux qui l'avaient mis sur ce piédestal, fragile et facilement déboulonnable. Même si, comme il l'a dit, «dans la solitude, on n'est jamais seul». Nous ajouterons que «dans le silence et la solitude, on n'entend plus que la vérité».