Bras droit de Kasperczak lors de son premier passage, il revient sur les rapports du staff technique national avec les cadres de l'équipe et le rôle qu'on a leur a confié. «Durant ma carrière d'entraîneur, j'ai eu affaire à un seul cas d'égarement de conduite de la part de joueurs-cadres. C'était à Ouagadougou en 1998, à l'occasion de la phase finale de la CAN. Les conditions d'hébergement n'étaient pas bonnes. On nous a logés dans des villas. Nous étions répartis en huit personnes par villa. Une situation qui nous a créé deux clans: l'Espérance et les autres. On sentait que les joueurs de l'Espérance formaient un groupe à part et les autres constituaient un deuxième groupe. L'ambiance a fini par se dégrader, ce qui s'est répercuté sur notre prestation durant la CAN. Ce qui m'avait intrigué le plus à cette époque, c'est que l'ambiance au sein de l'équipe nationale était devenue malsaine. Heureusement, c'était la seule fois où nous avions eu affaire à ce genre de comportement. Que des joueurs-cadres pourrissent l'ambiance au sein du groupe; ce fut une première, une exception à la règle, car les relations entre les joueurs étaient plutôt bonnes, notamment entre ceux de l'Espérance de Tunis et de l'Etoile du Sahel. En clubs, ils étaient adversaires sur le terrain. En équipe nationale, ils étaient de bons coéquipiers. Dans la vie, ils étaient de bons copains. Ce fut pourtant une époque du football tunisien où il y avait des joueurs-cadres qui remplissaient convenablement leurs rôles. Kasperczak et moi ne pensions pas aller être confrontés à un problème de clivage. D'ailleurs, en tant que staff technique national, nous les utilisions pour transmettre des messages au reste du groupe. Pour venir au profil du joueur-cadre, il faut qu'il soit talentueux, technicien et ayant un rendement infaillible sur le terrain. Il faut qu'il soit aussi un encadreur, c'est-à-dire qu'il a la faculté mentale pour conseiller ses camarades. Une forte personnalité qui lui permet d'influencer ses coéquipiers. Dans le bon sens, évidemment. Les exemples ne manquaient du temps où j'étais en sélection nationale avec Kasperscak. Il y avait Adel Sellimi, Sami Trabelsi, Chokri El Ouaer et Zoubeir Beya. Ce quatuor avait le rôle d'encadreurs. Ils avaient pour mission d'encadrer leurs coéquipiers sur le terrain et à passer le message du staff technique. En général, un entraîneur doit avoir l'œil pour détecter le joueur-cadre. S'il a de l'influence sur ses camarades, c'est qu'il a le profil adéquat pour gérer les vestiaires. Il doit savoir aussi réfléchir, avoir une vision du jeu. Pour cela, un minimum de culture générale et d'instruction académique sont nécessaires. Toutes ces qualités doivent être requises, mais ne sont pas suffisantes, si le joueur a des défaillances d'ordre technique. S'il est l'auteur d'une mauvaise passe et ne sort pas les matches qu'il faut, il ne peut être un joueur-cadre même s'il est le plus âgé. Bref, la technique d'abord et le mental ensuite, notamment une grande personnalité. Mais il n'y a pas que cela, il doit être un titulaire à part entière, que ce soit en équipe nationale ou en club. Les quatre joueurs que je vous ai cités l'étaient dans leurs clubs respectifs. Ils étaient les maîtres à bord, sauf peut-être Sami Trabelsi qui était un peu timide. Skander Souayah l'était aussi timide, outre qu'il était un peu retiré. Avoir une grande personnalité est essentielle pour encadre un groupe de joueurs, même si on n'est pas forcément le plus âgé. Nous avons à l'ASM un exemple vivant, Bilel Ben Messaoud. C'est un joueur-cadre qui est très utile au club en matière d'encadrement. Pourtant, il est jeune et bon nombre de ses camarades sont plus âgés que lui. C'est un footballeur expérimenté et qui a du talent. Il est aussi passé à un palier supérieur par rapport aux autres. Il a également un certain niveau d'instruction qui lui permet d'avoir de la réflexion et une bonne vision des choses. Il est vrai que dans les clubs, c'est beaucoup plus facile de gérer les joueurs-cadres. Généralement, il y en a un seul, peut-être deux ou trois dans les grands clubs. Mais quand on entraîne un club, on est le seul maître à bord et on gère son propre groupe. Alors qu'en équipe nationale, ce sont des joueurs qui viennent de divers horizons. Ils sont dans la plupart du temps des vedettes dans leurs équipes respectives où ils jouent les premiers rôles. Les cas les plus difficiles à gérer en sélection sont les joueurs en fin de carrière. Les mettre sur les bancs peut engendrer des problèmes, car un titulaire à part entière n'accepte jamais le statut de remplaçant. Il faut donc le pousser à maintenir son niveau, mais aussi à accepter de s'asseoir des fois sur le banc. Sinon, ces joueurs en fin de carrière peuvent vous pourrir l'ambiance aux vestiaires. Une règle générale que tout entraîneur doit appliquer : ne jamais laisser un joueur-cadre prendre le dessus en lui fixant ses propres limites et en lui faisant comprendre qu'au final, il y a un seul maître à bord : l'entraîneur».