Chokri Mabkhout emprunte la voie des méandres de la presse tunisienne vers la fin du règne de Bourguiba, pour brosser un paysage politique où Abdennasser Asli, son personnage principal, est forcé d'évoluer en quête de vérité sur la disparition puis la passion de Baganda, le footballeur exceptionnel qui soulève les foules. Venu au journalisme par accident, Abdennasser Asli n'est pas dénué de talent, comme le remarque bien vite le PDG du journal d'Etat où il travaille, juste pour avoir un peu d'argent en attendant des jours meilleurs. Il entame, ainsi, un parcours des plus étonnants en tant que correcteur puis prête-plume en 1986 alors que la Tunisie est en cessation de payement et que le pouvoir de Bourguiba est à bout de souffle. C'est, également, par accident qu'il tombe sur un scoop impliquant une idole des foules des stades ; Baganda, la perle noire dont le jeu sur le terrain frôle le génie. Passionné par le personnage que les Tunisiens adulent, Abdennasser Asli gagne des infos de première main d'un copain de quartier haut placé au ministère du Sport. Puis, hasard de la rédaction, il se retrouve seul au moment de l'insertion de son article et il s'offre donc la Une tout en allant au bout de l'info sans soupçonner le moins du monde qu'il allait être à l'origine d'un esclandre national ! Attaque de front et attaque de biais Devenu proche de Abdelhamid Témimi, PDG archétype des années Bourguiba, il ne saisit pas que le sport devient intimement lié à la haute politique quand il met en cause des noms de grande popularité comme Baganda. Dans son esprit de jeune éduqué, il était inconcevable que le papier en question peût menacer le journal et son PDG, mais quand il fut convoqué séance tenante pour rendre des comptes, il découvrit à quel niveau de fragilité se trouvait le Pouvoir d'alors, complètement obsédé par son image auprès des Tunisiens et de la communauté internationale. C'est ainsi que, dans les méandres du journal d'Etat, il assiste, ébahi, aux tentatives désespérées de son patron de laminer la crise. Première leçon. Quant à la seconde leçon, elle le plaça de l'autre côté du miroir, si l'on ose dire. Car, si Abdelhamid Témimi avait commencé par faire des excuses au ministre du Sport et au président du club de foot Union Tunisienne, il reprit vite l'initiative pour tancer vertement de deux manières différentes ; l'une de front pour le ministre du Sport, et l'autre, de biais pour le président du club. Au premier, il rappela ses frasques et menaça clairement d'ouvrir des tiroirs pleins de dossiers. Au second qui menaçait de couper la pub, il affirma que beaucoup s'empresseraient de glisser à l'oreille de Bourguiba que voilà un homme d'affaires qui osait retirer son soutien à son journal de cœur ! Beaucoup pouvaient se vendre et s'acheter ! Cela fait que, malgré le déni des autorités, Abdelhamid Témimi avait su manœuvrer adroitement pour préserver sa position et mettre son journal, celui que Bourguiba préférait, hors de cause. C'est la troisième leçon que reçoit Abdennasser Asli, comme quoi les cartes peuvent rapidement changer de main puis retour et vice-versa, dans un jeu complexe qu'il faut des années pour maîtriser. Asli considère que ce retour assez intéressant à la case départ lui donne les coudées franches pour aller au bout de l'énigme de la disparition de Baganda, le tout en 7 chapitres qui, tout en relevant successivement les voiles sur l'affaire, s'enfoncent encore plus loin dans les méandres de la politique tunisienne entre les derniers mois de l'ère Bourguiba et les premiers jours de l'ère Ben Ali. C'est, d'abord, ‘'L'Astre du conte'' où l'auteur présente le cas Baganda, puis, ‘'Le jeune loup'' écrit un peu à la gloire de Imed Belkhoja, le jeune président du club de foot Union Tunisienne, qui ne fait rien de moins que décrire toute une génération d'opportunistes qui ont beaucoup fait pour l'effondrement du régime de Bourguiba. Ensuite, ‘'Le Mercato'' qui poursuit sur le même ton et où on peut lire entre les lignes que beaucoup pouvaient se vendre et s'acheter, pas seulement les joueurs. Puis, c'est ‘'Le négro et la belle'', ‘'L'ultra'', ‘'Le Promosport'', ‘'La clôture du conte'' et ‘'L'impossible enquête'', finissant sur un dénouement dramatique que personne ne semble avoir remarqué car ce fut juste le jour où Ben Ali prit le pouvoir. L'ouvrage ‘'Baganda'', 239p., mouture arabe Par Chokri Mabkhout Editions Dar Altanweer, 2016 Disponible à la Librairie al Kitab, Tunis.