Les séances-marathons de pourparlers se sont poursuivies, hier encore, entre les membres du gouvernement et les représentants syndicaux. Mais elles n'en sont plus au point mort, comme ce fut le cas la semaine dernière. De part et d'autre, il y a une main tendue. Le Conseil des ministres s'est tenu hier en fin d'après-midi et se poursuivra aujourd'hui dans la matinée. Le gouvernement Youssef Chahed voudrait bien faire l'économie d'un bras de fer contre-productif et dont il ferait nécessairement les frais d'une manière ou d'une autre La pression pèse sur le gouvernement Youssef Chahed particulièrement, pour plusieurs raisons. En premier lieu, il doit impérativement transmettre le projet de la loi de finances au Parlement pas plus tard que demain. Autrement, la loi de finances ne saurait être votée, pour vice de procédure. En deuxième lieu, l'Ugtt, la puissante centrale syndicale, risque de mettre le gouvernement à mal, à terme, en cas d'inaboutissement des pourparlers. Or, le gouvernement escompte un front intérieur apaisé en vue de la réussite de la conférence internationale des investisseurs prévue fin novembre dans nos murs. En troisième lieu, l'Ugtt exige les augmentations signées auparavant par le gouvernement sortant et prévues dans le Document de Carthage qui a présidé à la formation du gouvernement Youssef Chahed, dit d'union nationale. De son côté, l'Ugtt sait pertinemment que le report des augmentations permettra aux finances publiques de ne pas subir le joug de nouvelles dettes extérieures dramatiques et à des taux exorbitants. Les incuries notoires des indicateurs économiques, tous ou presque au rouge, font en effet planer le spectre du scénario grec, avec tous ses effets sociaux pervers. D'où la propension de l'Ugtt, ces derniers jours, à tenir plutôt un discours sinon modéré du moins comportant des ouvertures non déguisées. D'ailleurs M. Hassine Abassi, secrétaire général de l'Ugtt, a bien déclaré il y a deux jours que les travailleurs consentiraient des sacrifices tant que ces derniers ne seraient pas leur seul apanage. Ainsi le gouvernement s'est-il engagé à retirer du projet de la loi de finances toute augmentation des prix des produits de base et subventionnés. Ces augmentations étaient prévues dans la première mouture examinée en Conseil des ministres. Et cela est d'autant plus plausible que le chiffre de l'inflation s'est stabilisé autour de 3,5%. En même temps, la révision immédiate du système fiscal permettra aux personnes touchant moins de 1.300 dinars par mois de bénéficier d'augmentations de fait en payant moins d'impôts. Des mesures corollaires, au profit des travailleurs, sont également prévues dans le sillage des grands projets structurants qui seront annoncés dans les semaines à venir. D'autres «mesurettes» touchant le logement social et les prêts bancaires feraient, elles aussi, l'objet d'un accord. D'autre part, le gouvernement s'est engagé à élargir la nécessité de s'acquitter des redevances fiscales à tous les corps de métiers, sans exception. L'Ugtt argue souvent, et à juste titre, que les travailleurs fournissent plus de 80% des redevances fiscales, tandis que les patrons, les grosses fortunes et des professions libérales s'acquittent du reste. Nombre d'entre eux pratiquent tout simplement l'évasion fiscale, en toute impunité, à l'instar du secteur informel et de la contrebande. C'est dire que si cela se concrétise, on aura assisté à un accord sur le fil du rasoir. Et, d'une certaine manière, tout le monde y trouvera son compte. Contestée il y a peu, son image entamée aux yeux de l'opinion au fil des mois et des grèves, l'Ugtt voudrait bien redorer son blason de partenaire incontournable et de facteur d'ordre au besoin. Le gouvernement Youssef Chahed, lui, voudrait bien faire l'économie d'un bras de fer contre-productif et dont il ferait nécessairement les frais d'une manière ou d'une autre. Une fois le dispositif de l'accord mis en place, le gouvernement devra s'appliquer à faire réussir la conférence internationale des investisseurs de novembre. Et surtout pour assurer la mise en branle d'un cercle vertueux économique pour être à même de faire face aux revendications sociales qui persisteront malgré tout. Parce que ce n'est que partie remise au bout du compte. Parce qu'ici, comme dans Alice au pays des merveilles, il faut courir deux fois plus vite pour rester à la même place.