A quelques dizaines de lieues du Golfe de Syrte, en direction du couchant au lieu géométrique des routes caravanières reliant au Sahara et à l'Orient, l'ensemble des régions de l'Afrique du Nord, en un point stratégique incomparable, se dressait il y a déjà plus de trois millénaires, Hecatompyles, la ville aux «Cent Portes», notre actuelle Gafsa. Bien avant la fondation de Carthage et d'Utique, alors que l'Atlantide vivait encore dans la mémoire des hommes et que l'histoire cheminait franchement à l'ombre de la légende, cette cité florissait sous les frondaisons de son oasis, et les murmures de ses eaux vives n'arrivaient point à assoupir une activité que la renommée n'a jamais réussi à surestimer. Dès cette époque lointaine, Gafsa commença à dérouler ses fastes dans une ambiance unique où l'animisme africain et la mythologie gréco-latine se confondaient sans cesse en une harmonie ineffable. Aussi, y trouve-t-on le souvenir des Amazones évoluant sur les berges du Lac Tritonis et de Minerve sortant victorieuses du combat contre les Titans, en même temps qu'une infinité d'anecdotes, aussi pieuses que merveilleuses, telles que jamais un hagiographe n'en réunit en une seule récolte. Pendant la haute antiquité, cependant, elle suscistait, en particulier, deux sentiments bien distincts : l'espoir d'un havre de paix au cœur des opprimés et la convoitise la plus intense chez les conquérants et les impérialistes étrangers. Entre les XXIIIe et XVIIIe siècle avant J.-C., des tribus entières égyptiennes fuyant leur pays occupé et saccagé par les Hyksos seraient venues s'établir dans cette oasis et dans sa région. Son hospitalité sans réserve ne fut pas récompensée ; elle fut par la suite une des cités soumises par le Pharaon Thoutmès III à lui payer un tribut. Mais, quelque temps plus tard, elle eut sa grande revanche : grâce en partie à la vitalité exubérante de ses enfants, une bonne moitié de la Basse Vallée du Nil fut dominée pendant plusieurs siècles par les Berbères. La Grèce, bien plus que son influence spirituelle, a mis à la disposition de l'élite de cette ville, son expérience commerciale et politique. Ses jardins dont la création remonte à l'époque préhistorique ont été depuis toujours soigneusement entretenus. Les petits propriétaires de jadis contribuèrent à l'application de nouveaux procédés de culture et d'irrigation. Par une ingénieuse économie de l'eau jaillissante et ruisselante, les agriculteurs avaient fécondé pleinement le pays et la forêt d'oliviers, de palmiers et d'arbres fruitiers; cet écrin de verdure précieux était l'œuvre de la persévérance humaine. Après l'arrivée presque incessante de nouveaux émigrés, l'oasis dut augmenter ses productions pour subvenir aux besoins de tous et maintenir en même temps le débit de son commerce extérieur. Vers le troisième siècle avant J.-C., jalouse de sa prospérité et craignant l'occupation étrangère, elle se fit un devoir de boucher la plupart de ses portes; désormais, elle fut connue sous le nom de Kafas ou Kaphsa, c'est-à-dire «la murée», «la bien close». Et c'était à l'intérieur de son enceinte que jaillissaient les sources au débit constant, captées et réglementées au profit de tous, et des citernes pour recueillir l'eau de pluie. Malgré ses fortifications, elle succomba aux assauts des troupes carthaginoises conduites par Hammon. A partir de cet événement survenu en 243 av. J-C, une garnison punique y fut établie et son sort fut rattaché solidement au destin de Carthage. Un siècle plus tard, quelques mois après la chute de la capitale punique, Gafsa se trouva sous la domination des rois numides. Vis-à-vis des habitants, ils eurent une politique très habile. «Jugurtha» par exemple s'était attaché par une exemption d'impôts, les agriculteurs et commerçants des oasis, retranchés dans leur désert, et sans doute assez forts pour résister à ses volontés s'il avait voulu les soumettre par la force. «Ce n'était pas trop payer une base d'opérations solide contre les Romains; un dépôt d'approvisionnements et de trésors, une retraite sûre». L'expédition contre Capsa, «le trésor de Jugurtha», comptera parmi les faits d'armes les plus captivants des âges antiques et sera la cause de sa première destruction à la fin du deuxième siècle avant Jésus-Christ.