Entraîneur de gardien de but ? Oui, c'est bien une spécialité et on ferait mieux de ne jamais l'oublier! Pour éviter d'engager des polémiques inutiles, disons que des souvenirs remontant aux années cinquante-cinq, nous interpellent à chaque fois que l'on parle des gardiens de but et du travail spécifique qui devrait être le leur. Tout prêt du «Parc des Sports» qui était devenu plus tard le terrain du Club Africain, il y avait un tout petit complexe qui répondait au nom de terrain de «l'Avant-Garde». Après la séance d'éducation physique qui avait lieu au Parc, on devait rejoindre l'Avenue Jules Ferry (actuelle Avenue Bourguiba) où se trouvaient les terminus des trains, bus et trolleysbus. Nous passions forcément par ce terrain de «l'Avant-Garde». Nous étions captivés par le travail qu'effectuait un groupe de gamins, sous la conduite d'un entraîneur qui répondait au nom de «Fabio» (Rocchegiani). Cela tenait du supplice, mais un seul restait toujours le dernier. C'était celui qui allait devenir le célèbre Attouga (Sadok Sassi)... Fabio a été un des techniciens qui allait marquer son époque, suivi plus tard par André Nagy qui était très difficile d'approche, mais qui n'hésitait pas à confier à ses proches que «si j'ai à choisir entre un gardien de but et un joueur de champ, j'opterai toujours pour le gardien car s'il ne peut vous faire gagner des matchs, seul il pourra toujours vous empêcher d'en perdre !». Et Attouga a été de ceux qui s'efforçaient grâce à ses formidables qualités d'offrir au moins le nul aux siens, même s'ils méritaient dix fois de perdre ! Le grand Lev Yachine, seul gardien de but Ballon d'or en 1963, Dino Zoff, Olivier Kahn hantaient les esprits, et ces gardiens de but qui effectuaient des prouesses extraordinaires, surtout depuis que les tirs au but allaient devenir déterminants pour désigner le vainqueur, ont fini par imposer la spécialisation à ce poste. Il fallait choisir des hommes aux qualités spécifiques bien déterminées, mais aussi mettre en place tout un travail spécialisé pour affûter ces qualités et d'en augmenter les performances. Le travail ne pouvait être fait que par des spécialistes ayant la formation adéquate et les qualités psychopédagogiques et techniques pour le faire. Et c'est pour cette raison que l'on a fini par comprendre que le gardien de but était une spécialité à part, qu'il lui fallait un technicien à sa disposition et que son programme, une fois la séance collective terminée, est différent de celui du reste de l'équipe. Pourtant, à une certaine époque, pour se débarrasser d'un camarade qu'on ne voulait pas faire jouer comme joueur de champ, on le reléguait au rôle de gardien de but ! Une lourde responsabilité L'entraîneur des gardiens de but endosse de nos jours une très lourde responsabilité. Sa formation est, certes, celle d'un technicien spécialiste de football ou de handball, mais qui a été pour un temps plus ou moins long gardien du temple. Cette expérience est primordiale, car elle permet de «sentir» et «pressentir» ce qui se passe dans le subconscient d'un homme sur les épaules duquel repose parfois le devenir d'une rencontre sportive. En effet, un gardien de but est un meneur d'hommes et tous ceux qui ont réussi à ce poste, l'ont été, alors que ceux qui ont été discrets, sans personnalité marquante, ont quitté les lieux en toute discrétion, poussés par cette terrible pression qui entoure cet homme seul, livré parfois à lui-même et qui a pour mission de sauver les meubles. Un entraîneur de gardien de but endosse cette responsabilité qui consiste à préparer aussi bien physiquement que psychologiquement son homme. Il ne peut être, dans ces conditions, qu'un fin psychopédagogue qui sait se rapprocher de son protégé, pour en connaître les pensées les plus refoulées. Un gardien de but est par excellence un homme qui lutte sans cesse contre cette sensation d'être seul dans les moments difficiles. A se remémorer ce que fait la majorité des membres d'une équipe, joueurs, dirigeants et même supporters, en cas de penalty ou de séances de tirs au but pour départager deux adversaires on comprend l'énormité de la tâche. Tout le monde s'en remet à celui qui porte, dès lors, ce qualificatif de «dernier rempart». L'entraîneur des gardiens est aussi pleinement engagé, lorsqu'il s'agit de choisir entre deux gardiens dont le niveau est proche et qu'il faudrait départager sans porter atteinte au psychique de celui qui sera appelé à ne pas jouer, de rester sur le banc, mais qui doit rester en pleine concentration pour suppléer le gardien titulaire le cas échéant. Cela relève de la haute voltige, mais les qualités d'observation de l'entraîneur et ses facultés de déceler les défections pour mettre en forme sa séance et travailler davantage pour «rebooster» son protégé sont primordiales et cela suppose une confiance réciproque et une volonté manifeste d'accepter la sentence de bon cœur, en prévision du choix final. En effet, parallèlement aux qualités physiques dont devrait se prévaloir un gardien de but, agilité, saut, prise de balle et réflexes, il y a de ces plus qui font la différence et dont l'appréciation revient à l'entraîneur spécialiste. L'anticipation, l'apport au collectif, la qualité de la passe pour relancer rapidement et sans se saisir du ballon, l'influence sur les défenseurs et le reste de l'équipe, la détermination et le flair constituent autant d'arguments dont se prévaut l'entraîneur qui note tout, comprend vite et décide en dernier ressort de ses choix. Et ce n'est pas toujours facile, surtout lorsqu'une équipe ne tourne pas rond et que le gardien est livré à lui-même et qu'il doit s'en sortir. C'est là qu'intervient le travail effectué en amont par l'entraîneur qui cultive cette impression d'homme providentiel sur qui repose un résultat, certes, mais qui, dans la bulle qu'on lui apprend à créer, écarte de son esprit tout ce qui n'est pas lié à la mission qui lui incombe. Cette concentration est un travail de tous les jours et elle fait souvent la différence entre un gardien de but et un autre. Mais comme toute autre spécialisation et dans n'importe quel domaine, la formation, le recyclage, la mise à jour et à niveau des connaissances sont primordiaux. Dans un monde où l'évolution est continuelle, constante, toute œuvre liée à la performance, aux qualités humaines progresse sans arrêt. La science et la recherche s'y mêlent, et l'on parle déjà des lunettes noires que porte Yann Sommer, le gardien suisse. Ces lunettes magiques permettent «d'accélérer la vitesse de réaction», précise Sommer. «Il y a différents réglages possibles, le cerveau est mis à contribution», ajoute le gardien. Entraîneur de gardien de but ? Oui, c'est bien une spécialité et on ferait mieux de ne jamais l'oublier!