Par Jawhar CHATTY Quelle commune mesure y a-t-il entre l'automne des poètes et celui des conjoncturistes ? Un sociologue et un chef d'entreprise ont-ils la même perception de l'automne qu'un écolier pour qui cette saison est surtout annonciatrice de la fin des grandes vacances et de la reprise d'une certaine «corvée» de levée matinale et de devoirs scolaires‑? A vrai dire, il existe autant d'automnes que d'états d'esprit et d'humeur. Le dérèglement climatique n'a à cet égard point arrangé les choses. Non seulement une journée maussade peut désormais venir troubler la clarté et la beauté du mois de juillet ou de mars, mais chacun de nous peut vivre, psychiquement s'entend, des périodes proprement automnales indépendamment des saisons. Excroissance de l'été et appendice de l'hiver si l'on ose ainsi dire, l'automne a ceci de commun avec le printemps d'être une période tampon. Une période de transition positive entre ce qui a été fait et entrepris jusque-là et ce qui va advernir et ce que l'on voudrait qu'il advienne. De ce point de vue, l'automne est la saison de la cogitation par excellence. C'est le temps au cours duquel se préparent les révolutions tranquilles. L'automne est, à tous les niveaux de la vie et de l'activité humaine, une épreuve de l'avenir. Cela mérite sans doute d'être nuancé dans la mesure où l'on peut prétendre que chacune des quatre saisons est en soi une forme de transition, une jonction entre passé et futur et un passage obligé du processus et de la dynamique de développement. Mais l'automne reste, à notre sens, par ce qu'il charrie comme symbolique dans la conscience collective, la période au cours de laquelle se cristallisent, lentement, les grandes orientations qui engagent l'avenir. Il est, certes, moins le catalyseur de la dynamique de vie et de développement, mais il est, à la fois, le substrat, le précurseur et l'amorce de ce processus. «Rien ne vaut un bon départ», dit-on. Il est à cet égard significatif de relever que l'automne est toujours associé à la rentrée… Peu importe que cette rentrée, qui est elle-même synonyme de «reprise», soit molle ou vigoureuse. Il revient, à ce niveau, aux conjoncturistes de nous le dire. Il nous revient et nous appartient toutefois à tous d'imprégner la cadence et le rythme qu'il faut à cette reprise. Par notre détermination à cristalliser des orientations claires pour l'avenir et par notre engagement à les concrétiser. Cela nécessite une certaine dose de rigueur et de responsabilité, d'implication active et de participation, d'esprit d'initiative et de travail. Sans cela l'autonome risquerait de n'avoir été que la saison de la mélancolie, et du défaitisme, de la cogitation des idées obscures et stériles. Entre un été languissant où l'on avait joui des fruits de ce qu'avaient esquissé l'automne et un hiver austère et laborieux où ces mêmes fruits avaient trouvé un terreau fertile prêts à être caressés par la douceur et la clarté du printemps, l'automne est, à bien des égards, une amorce d'un nouveau cycle de croissance. C'est à ce niveau que réside, sans doute, le point de convergence des différentes perceptions que chacun a de l'automne. A ce niveau, l'automne des poètes et celui de l'écolier sont, même empreints de mélancolie pour les premiers et d'une certaine «paresse» pour les seconds, foncièrement porteurs d'espoir et tournés vers l'avenir. Car, au fond, si le poète, l'écolier et nous tous avons chacun notre perception propre du processus de la vie, chacun est et devra être conscient que nous participons tous à la dynamique de la vie. Et cela, n'en déplaise aux conjoncturistes, indépendamment et par-delà les conjonctures. Ce sont là, il nous semble, quelques bribes d'idées qui, d'une certaine manière, fédèrent l'ensemble des articles de votre présent mensuel. Bonne lecture.