Par Mustapha ATTIA Quand les feuilles des arbres commencent à jaunir et puis à tomber, annonçant l'arrivée imminente de l'automne, chargé de ses symboles et de son raz de sens, quand le temps se dandine sur les cadences de la quasi-hibernation de la nature, les esprits se couvrent du reliquat de la chaleur d'été qui s'en va, en prévision d'un hiver qui s'annonce.Car dans l'agenda céleste, l'automne est la plus courte des saisons, mais c'est celle qui a le plus d'impact sur la nature et sur les esprits. C'est pour cela que cette saison a toujours enflammé le psychique et le mental des poètes, a aiguisé leur imagination et a ouvert devant eux les horizons de l'ascension et de l'évasion. «Bientôt nous plongerons dans les froides ténèbres; Adieu, vive clarté de nos étés trop courts! J'entends déjà tomber avec des chocs funèbres Le bois retentissant sur le pavé des cours». (Baudelaire) La poésie présente cette différence d'avec la science que les vieilles formes ne vieillissent pas, qu'elles rayonnent dans des strates parallèles. Si le poète change, il reste immuable dans sa principale dimension, l'humaine. «Je change avec le temps, comme je change de nom et d'origine; le temps dispose à son gré de ma généalogie, Quand elle lui déplaît, j'en adopte une autre (al-Hamadâni) Avec ses continuelles variations, le temps a toujours été une sève nourricière des mutations de l'homme et les poètes ont toujours exprimé les significations de ces changements de mille manières poétiques. «Que ne suis-je comme l'hiver: j'envelopperais de ma froidure tout ce qu'a flétri l'automne ( Chebbi-trad.A.Ghdira) Le temps, ce sont les saisons et à chaque saison ses spécificités qu'incarne la nature dans ses plus beaux atours. C'est parmi ces spécificités immergées dans les détails des paysages naturels que naissent les songes des poètes et s'épanouissent leurs aptitudes à l'innovation. C'est grâce à ces spécificités qu'ils arrivent à s'insinuer dans les autres thèmes comme la description, l'éloge et la poésie d'amour. Ayant apprivoisé le soleil de l'automne, mené loin de son contexte naturel, Al-Moutanabbi nous chante: «On dirait que le soleil lui a prêté l'éclat de ses rayons:/ nos faibles yeux ne peuvent soutenir sa splendeur» Le lever du soleil doit être la scène la plus spectaculaire de la nature en automne. Voir le soleil jaillir des flots torrentueux d'un fleuve. Par l'ardeur du poète la scène devient extrêmement émouvante. Lorsque le soleil quittait la surface de l'eau, au lieu de se lever doucement, il faisait un saut brusque pour achever son acte. «Oui, dans ces jours d'automne où la nature expire, A ses regards voilés je trouve plus d'attraits» (Lamartine) L'automne a toujours été la muse des poètes, la saison qui fait éclore leurs talents, car c'est la nature qui somnole, le temps qui s'écoule, la vieillesse qui avance, les rêves qui s'envolent. «Les sanglots longs Des violons De l'automne Blessent mon coeur D'une langueur Monotone». (Verlaine) Aucune des quatre saisons n'a pu autant que l'automne provoquer la crise existentielle dans le coeur et l'esprit des poètes. L'automne les a fait sortir du cercle des songes et les a jetés dans les méandres du questionnement. Il a écorché leur imagination et a aggravé leurs crises. Il a hypothéqué leurs aspirations et a entravé leurs membres. Mais c'est aussi l'automne qui, avec les vicissitudes de la nature éreintée et accablée, a fait naître leurs hymnes les plus beaux et a donné à leur douleur cette formidable cadence magique. C'est lui qui a renforcé les relations aux autres créatures et a permis à leurs voix d'avoir cet écho mélodieux. Mollement bercée, La voûte pressée En dôme orgueilleux Serre son ombrage, Et puis s'entrouvrant, Du ciel lentement (Chateaubriand) Les romantiques avaient revêtu cette saison chargée des fardeaux de la nature révoltée, les impressionnistes ont bien réussi à en décrire les paysages et les symbolistes se sont embarqués dans les interstices de ses énigmes. Voici le matin, il chante à la vie Qui sommeille. Les collines rêvent à l'ombre des branches qui balancent, Le vent du nord fait danser Les pétales des fleurs desséchées ( Chebbi-trad.A.Ghdira) La nature est en train de mourir, et dans la douleur de l'agonie elle lutte pour revivre. «Car chaque fois les feuilles mortes Te rappellent à mon souvenir Jour après jour les amours mortes N'en finissent pas de mourir (Prévert) L'homme est né, disait le poète , uniquement parce que, quelque part, un jour, une feuille est tombée sur la terre. Il est le descendant direct d'une feuille ayant vécu, puis ayant cessé de vivre, et l'instant de sa mort fut l'instant de sa naissance. «La feuille qu'on foule, Un train qui roule La vie s'écoule.....» (Appolinaire) Pour Chebbi qui chantait l'automne, on ne peut atteindre la plénitude sans avoir expérimenté la douleur. C'est le prix à payer pour être humain. «Malgré les maux et les ennemis Je vivrai tel l'aigle sur la cime altière Bravant le vent, la tempête et la pluie» N'est ce pas la saison des poètes?!