Que de fausses idées l'école a-t-elle enraciné et enracine-t-elle encore dans les esprits des enfants sur l'automne ! Et les enseignants tout comme les manuels qu'ils utilisent le font si bien d'ailleurs que l'image d'Epinal que leur jeune public s'est forgée autour de cette saison n'est constituée que d'éléments tous plus rebutants les uns que les autres : grisaille permanente, feuilles mortes jonchant le sol, arbres dénudés tendant leurs branches vers le ciel comme pour solliciter sa grâce, atmosphère lugubre, retour du même et âmes mélancoliques ! Quelle désolation que celle qu'on emprunte le plus souvent aux textes des poètes et des écrivains qui projettent leurs joies et leurs peines sur les manifestations du cycle naturel. Qui ne se rappelle la chanson de Verlaine qui immortalise « les sanglots longs des violons de l'automne, qui blessent (son) cœur d'une langueur monotone », ou Chateaubriand qui trouve que les feuilles de l'automne « tombent comme nos ans, se fanent comme nos heures » que ses nuages « fuient comme nos illusions », que sa lumière « s'affaiblit comme notre intelligence », que son soleil « se refroidit comme nos amours », que ses fleuves « se glacent comme notre vie » ; ou encore Lamartine se complaisant à contempler « le deuil de la nature », ou enfin Théophile Gautier qui célèbre dans l'automne les « adieux de l'Adieu ». Quelle littérature déprimante enseigne-t-on aux jeunes générations et qu'on présente comme la meilleure à illustrer le lien inextricable entre le monde extérieur et l'univers intérieur des hommes ! Mais pourquoi nos écoles ne voient-elles que des bouteilles à moitié vides ? L'automne c'est tout autre chose quand on veut le considérer plus positivement !
Pour un nouveau départ C'est en effet la saison des premières pluies de l'année sans lesquelles le sol ne sera jamais labourable et qui atténuent en outre les chaleurs suffocantes de l'été. L'automne coïncide avec la rentrée scolaire et annonce le début d'une nouvelle année administrative. De nombreux fruits délicieux mûrissent aux mois de septembre, octobre et novembre comme les dattes, les grenades, et les coings. L'olivier attend l'automne pour tendre ses branches chargées aux mains des cueilleurs et des cueilleuses ; les premières mandarines font leur apparition et les dernières grappes de raisin acquièrent une saveur plus enivrante en septembre et en octobre. L'automne est pour l'agriculteur la saison dont dépendent la plupart des récoltes de l'année : parce qu'on y remue le sol, on l'y laboure, on y sème le grain, on y arrose les terres quand la pluie se fait attendre. On y fête l'arbre, on y commence la chasse de la majorité des espèces autorisées. En ville, les rues désertées pendant toute la saison chaude retrouvent leur animation habituelle, les commerçants réalisent leurs premiers grands bénéfices, les espaces culturels rouvrent dès septembre au même moment où les vacanciers ont fini de recharger leurs batteries pour entamer une nouvelle année de travail et de rendement. Les couples fraîchement mariés envisagent déjà la venue au monde de leur premier bébé.
Contagion de pessimisme Un nouveau regard s'impose quand il s'agit de présenter aux élèves et aux étudiants le cycle des saisons : les écoliers et les lycéens doivent comprendre que les feuilles jaunies cèdent tout simplement leur place à d'autres dans une sorte de relève naturelle essentielle ; que sans cette « mue », le renouveau n'aurait pas lieu ; qu'une leçon de sagesse est à tirer de ce mouvement perpétuel des périodes de l'année. Le parent d'un étudiant littéraire a récemment découvert de nombreux poèmes pessimistes écrits par son fils lequel avait au programme de ses études quatre œuvres des moins « gaies » de la littérature française. Il y avait en effet de quoi assommer le plus optimiste des étudiants, dans ces textes qu'on dirait réunis pour inciter au désespoir et au suicide. De quoi s'agissait-il dans les poèmes de l'adolescent d'habitude rieur et plein d'entrain? Il n'y était question que d'automne mélancolique, de nuages fumants, de ciel gris et d'orages imminents, de cœurs endoloris et de rêves brisés, de sombres horizons et de cloîtres sans issues ! Le contenu de son programme y était assurément pour quelque chose. Les jeunes, on le sait, sont à un certain âge, enclins à la dramatisation de leur destin et tendent à voir la vie en noir. Mais quand l'institution scolaire les y encourage, cela devient sérieusement inquiétant.