Ce qui reste déplorable, et c'est une injustice, c'est le sexisme dans les commentaires sur les réseaux sociaux qui n'ont concerné que les femmes pour épargner les hommes. Or ces derniers n'étaient pas en reste en matière de mauvais goût Après le tollé général sur les tenues des invitées qui ont paradé sur le tapis rouge à l'ouverture des JCC 2016, une réflexion sur la mode s'impose. Il y a plusieurs siècles en Andalousie, un jeune dandy que l'on nommait le prince de l'élégance, appelé Ziryab, a inventé la mode. Ziryab, un illustre musicien, d'ailleurs le grand musicologue feu Salah Mahdi s'est donné pour surnom Ziryab, souvenons-nous. Ziryab irakien de naissance, adopté par l'Andalousie, après un bref passage par les terres tunisiennes, était astronome, géographe, homme de lettres. Ziryab avait l'élégance et les manières distinguées, il réussit à imposer le raffinement sous toutes ses formes, dans la cuisine, l'ordre protocolaire et l'art de la table. C'était un autre temps. La mode s'est développée depuis, elle a envahi tous les registres ou presque, et pas seulement le vestimentaire. Elle a endossé plusieurs fonctions sociales importantes comme d'apporter du changement dans la vie quotidienne des gens, comme de soigner leurs apparences et donner l'impression qu'ils sont dans le coup. Plus important que tout cela, la mode fait tourner les métiers et traverse désormais tous les domaines, elle n'est plus seulement vestimentaire. Les tendances concernent les tissus d'ameublement, le mobilier, la décoration... On parle assez souvent des diktats de la mode. D'une façon telle que ses injonctions sont devenues des normes sociales adoptées par ceux qui le peuvent. Par exemple, le «lisse» est devenu un marqueur social, comme l'absence de rides sur le visage ou l'absence de protubérances pour le corps. Seulement, et malgré ces diktats qui semblent universels, la mode reste subjective et relative. Une femme mince, voire maigre, est une femme à la mode en Europe mais pas forcément en Orient. Dans les pays arabes du Moyen-Orient, une femme bien enveloppée est généralement bien considérée. La culture nécessaire Les consommateurs en général et les femmes en particulier qui suivent la mode observent les vêtements portés par des mannequins qui paradent sur les podiums ou les artistes qui montent les marches de Cannes et s'identifient à elles, à eux. Elles ne se rendent pas toutes compte, parce que n'elles n'ont pas toujours la culture nécessaire, pour savoir que ce qui est joli sur un mannequin qui le porte bien n'est pas forcément élégant sur elles. Les femmes européennes, a fortiori les vedettes, sont généralement grandes et longilignes, plates partout sauf peut-être au niveau du buste, et peuvent se permettre de porter ce que ne pourra jamais mettre sur le corps une femme ayant des formes, au risque de paraître vulgaire, même en étant mince. Ce qui peut passer sur le dos d'une Européenne peut paraître carrément de mauvais goût sur une autre femme orientale ou tunisienne. Le must de l'élégance, c'est d'adapter le vêtement en fonction de sa morphologie et non l'inverse. Ce qui est clinquant n'est pas forcément chic Autre diktat que cette mode énonce : «Les tenues les plus habillées sont les plus déshabillées». Autrement dit pour être élégante, il faut savoir dévoiler certaines parties de son corps, surtout lorsqu'il s'agit d'événements importants, ou mondains, et des soirées.... Au-delà de tout jugement moral, là n'est pas la question, et la liberté vestimentaire est un droit fondamental, certaines invitées des JCC ont essayé d'appliquer cette boutade à travers une surenchère de transparence et de nu et le résultat est un désastre. Cela étant dit, la notion de chic est subjective, mais quelques règles dans ce domaine font encore l'unanimité. Ce qui est clinquant n'est pas forcément bien vu ni chic. Ce n'est pas parce que cela fait riche que c'est élégant, c'est valable aussi bien pour la mode vestimentaire que pour la déco. L'autre erreur d'appréciation reproduite à souhait vendredi dernier à l'ouverture du grand événement cinématographique, certaines invitées se sont identifiées à la fois aux vedettes de la montée des marches de Cannes, et aux bimbos libanaises et moyen-orientales. Or le chic n'est pas obligatoirement copier Paris, Cannes ou Dubaï et Beyrouth. Toutefois, ce qui reste déplorable, et c'est une injustice, c'est le sexisme dans les commentaires sur les réseaux sociaux qui n'ont concerné que les femmes pour épargner les hommes. Or ces derniers n'étaient pas en reste en matière de mauvais goût. Comment s'en sortir Par ailleurs, plusieurs ont fait preuve de sobriété et c'était chic. C'est valable pour les hommes autant que pour les femmes. Maintenant la question qui se pose, pourquoi a-t-on autant de mauvais goût chez nous? Parce que nous sommes des consommateurs, des copieurs, des sous-traitants. Dans le domaine de la créativité, la haute couture, le prêt-à-porter, dans le design, des arts décoratifs, et même dans le domaine de l'artisanat, la créativité a été systématiquement découragée voire combattue par Ben Ali. Un créateur est en effet un dissident de l'ordre établi. Il n'est que cela. Ce n'est pas un copieur, un imitateur. C'est quelqu'un qui vient violer les normes, les tabous, les règles installées. Résultat: Nous n'avons ni les métiers d'art ou alors pas suffisamment, ni le marché, ni les griffes, ni assez de créateurs ni des événements pour tester tout cela et booster le marché. Pour prendre la mesure, en France par exemple, c'est le Roi Louis XIV ( 1638-1715) qui lança l'industrie du luxe et de la mode vestimentaire. Depuis une tradition s'est installée et un savoir faire dans l'art, la culture, le luxe et la mode. Chez nous en Tunisie, si nous n'avons pas de créateurs dans tous les domaines qui relèvent des arts décoratifs, du design et du vestimentaire, nous resterons un pays de suivisme. Si nous n'avons pas nos propres stylistes, nos propres créateurs concepteurs qui inventeraient des modèles élégants pour être portés par les femmes tunisiennes nous resterons un pays de sous-traitance. Nous nous contenterons, dans les domaines du mobilier, de la déco, et du vêtement, de prendre des commandes pour les exécuter. Nous vendrons de la main-d'œuvre bon marché et nous copierons les modèles. Le fond de la chose est là, c'est valable dans tous les domaines, du cinéma à l'architecture, en passant par la mode vestimentaire. Sans créativité, la Tunisie restera un pays de sous-traitance et on continuera à se demander consternés pourquoi chez nous le mauvais goût fait la loi.