Grâce au Tanit d'or remporté par Zeïneb n'aime pas la neige et au prix spécial du jury raflé par The Revolution won't be televised, le documentaire sort, enfin, de la condition de genre mineur où certains veulent le confiner. En attribuant deux récompenses très importantes à des films documentaires, soit le Tanit d'or pour Zeïneb n'aime pas la neige de la Tunisienne Kaouther Ben Hania et le prix spécial du jury à The Revolution won't be televised de la Sénégalaise Rama Thiaw, le jury de la compétition officielle des longs métrages, présidé par le Mauritanien Abderrahmane Sissako, a voulu rendre au genre ses lettres de noblesse. Tant sous nos cieux africains, le documentaire est minoré, n'étant pas considéré comme une œuvre cinématographique à part entière. Il faut dire que d'autres festivals prestigieux l'ont déjà fait, et ce depuis belle lurette, en sacrant à plusieurs reprises des films documentaires. «Cannes» a, par exemple, octroyé il y a 47 ans, en 1956, sa Palme d'Or au film documentaire : Le monde du silence de Jacques-Yves Cousteau et Louis Malle. En 2004, c'est au tour du réalisateur américain Michael Moore de rafler la récompense suprême avec son film documentaire Fahrenheit 9/11, un brûlot politique qui dénonce les liens unissant les familles Bush et Ben Laden, outre les intérêts qui ont conduit les Etats-Unis à envahir l'Irak en 2003. La Mostra de Venise a, lors de sa 70e édition en 2013, primé, pour la première fois, un documentaire, en l'occurrence Sacro Gra du réalisateur italien Gianfranco Rosi en lui décernant le Lion d'or. Enfin pas plus tard que cette année, en février 2016, l'Ours d'or de la Berlinale a échu au documentaire italien Fuocoammare, signé du même Gianfranco Rosi sur la tragédie des migrants à Lampedusa. Voilà que les JCC empruntent la même voie en attribuant le Tanit d'or au documentaire Zeïneb n'aime pas la neige. D'ailleurs, le président du jury des L.M. n'y est pas allé par quatre chemins en déclarant : «Le Tanit d'or, la plus grande distinction du festival, est attribué à un film magnifique et touchant». Ce deuxième long métrage, de Kaouther Ben Hania produit par «Ciné téléfilm prod» et «13 production» se déroule en 2009 et couvre six ans de la vie de Zeïneb, de l'âge de neuf ans jusqu'à 15 ans. Ce documentaire se focalise sur une tranche de la vie d'une enfant dont la famille est en pleine mutation : son père, décédé dans un accident, sa mère s'apprête à refaire sa vie avec un homme, en fait son premier amour qui vit au Canada. Mais ni ce pays ni son beau-père ne lui inspirent confiance. Et même la plaisante perspective de voir, enfin, la neige ne la séduit pas, car Zeïneb ne veut pas quitter son école, ses professeurs, ses amis, «sa» banlieue, bref son pays natal. Mais le départ s'avère impératif et Zeïneb doit se plier et s'habituer à sa nouvelle famille recomposée avec son beau-père et sa demi-sœur avec laquelle elle doit partager sa chambre. Ce film sur la famille est filmé du point de vue d'une enfant en confrontation avec des adultes dans un nouveau cadre familial et un nouveau pays, une nouvelle culture. Le personnage central, Zeïneb, vit une initiation à la vie, de l'enfance à l'adolescence, et la réalisatrice nous montre ce processus d'adaptation, d'intégration, de maturation grâce à l'acceptation de l'autre et l'intériorisation d'une nouvelle culture nord-américaine si différente de sa culture originelle. Le film qui interroge l'identité couvre, par à-coups, une période de 6 ans de la vie de Zeïneb, se déclinant sur la durée et le processus de maturation d'une pré-adolescente. A cette fin, la caméra capte, à travers le regard du personnage central, des situations prises sur le vif ou provoquées (sans doute par des question de la réalisatrice coupées au montage). L'approche est intimiste puisque la caméra se focalise sur des situations intimes vécues tantôt dans la fébrilité, tantôt dans la complicité, notamment entre Zeïneb et sa demi-sœur, la mère étant un personnage présent-absent. Les deux personnages causent de tout : d'identité, de culture, de religion, etc. Voilà qui révèle le processus difficile d'intériorisation d'un mode de vie et d'une culture autres que les siens originels, par une pré-adolescente dont la personnalité est en construction et en devenir. Et c'est là le nœud gordien du film: l'intégration dans un pays d'immigrants très ouvert qui jouit d'une diversité et d'un brassage culturels importants. Car Zeïneb, qui n'aimait pas la neige et refusait de partir au Canada, finit par adopter son nouveau pays et intérioriser sa culture. Elle se sent pleinement canadienne. Mais est-ce là une coupure totale avec son pays, son identité et sa culture d'origine qui constituent un supplément de richesse culturelle ? Le documentaire ne répond pas à cette question. La réalisatrice y répondra-t-elle dans un autre opus. Qui sait ? The Revolution won't be televised Mais Zeïneb n'aime pas la neige n'est pas le seul documentaire de la compétition officielle des longs métrages. Puisque sur les 17 opus visionnés par le jury, on compte sept films documentaires en tout : The Revolution won't be televised de la Sénégalaise Rama Thiaw, Action comandante de la Sud-Africaine Nadine Angel Cloette, Bois d'ébène du Sénégalais Moussa Touré (une reconstitution d'une période de l'esclavage en Europe et en Amérique), Foyer sans portes du Syrien Avo Kaprealian, La femme aux vaches du Syrien Ali Sheikh Khudr et Hissein Habré, une tragédie tchadienne du Tchadien Makamat-Saleh Haroun. Mieux, c'est aussi cet autre documentaire de la Sénégalaise Rama Thiaw qui a raflé le Prix spécial du jury. Il s'agit de The Revolution Won't be televised (la révolution ne sera pas télévisée) qui a été sélectionné au festival du film de Berlin en 2016, le titre éponyme est inspiré de la chanson du poète, musicien et romancier américain Gill Scott Heron et le film se focalise sur l'action des rappeurs du groupe Kevr-Gui, acteurs majeurs de la révolution de 2012 au Sénégal. La réalisatrice dresse leur portrait quatre ans après la révolution. «Ces héros ordinaires» ont-ils changé ou sont-ils demeurés égaux à eux-mêmes? Le film débute en 2011 quand trois amis rappeurs, Thiat, Kilifeur, Gadiaga, prennent la tête du mouvement national «y en a marre» contre un «président autoproclamé à vie». La réalisatrice filme ces héros positifs en se focalisant sur l'engagement aussi bien artistique que politique afin de montrer que le changement ne vient pas seulement de l'extérieur. Filmé en cinéma direct, cet opus mêle grande et petite histoire avec en toile de fond la révolution et l'insurrection de millions de Sénégalais tout en captant les moments intimistes du quotidien et des moments de réflexion et de création musicale du groupe de rappeurs. Action, engagement, réflexion et musique sont les ingrédients essentiels de ce portrait fébrile d'une jeunesse urbaine, africaine, avide de changements. Vif, alerte, poétique, par moments porté par une musique enlevée et savoureuse, The Revolution won't to be televised n'a pas volé le prix spécial du jury de la compétition des longs métrages. Ainsi, ces récompenses contribueront, sans nul doute, à promouvoir le documentaire, sous nos cieux et partout en Afrique, en le sortant de la condition de genre mineur, où certains veulent le confiner. Et à stimuler la production de films documentaires, a fortiori s'ils relèvent de la création.