Par Slaheddine GRICHI La Tunisie post-coloniale compte des centaines d'artistes et de créateurs qui ont brillé et enrichi le répertoire culturel du pays. Ils l'ont fait à travers leurs créations propres, en exerçant leur talent, en exprimant leurs convictions et leurs angoisses et en donnant libre cours à leurs penchants artistiques et sociopolitiques. Le succès et la reconnaissance qu'ils recueillent sont personnels et la satisfaction qui en découle est individuelle, même si par nationalisme ou esprit de citoyenneté, elle est largement partagée. D'ailleurs, l'art n'est-il pas, au fond, un acte «égoïste» et narcissique ? A l'opposé, rares sont les artistes qui, se trouvant au cœur d'un projet ou d'un événement culturel public, s'y consacrent avec abnégation comme s'ils étaient les leurs, et prennent du plaisir en mettant en exergue les travaux d'autres artistes qu'ils ne considèrent plus comme des «concurrents» potentiels, mais des partenaires au service d'un idéal commun. Moncef Souissi était de cette trempe... Autant sensible que grande gueule comme seuls les fiers au cœur d'or peuvent l'être, aussi sociable que provocateur, il portait en lui tout ce qu'implique la dualité artiste-animateur. Il se passionnait pour les pièces qu'il a mises en scène à la Troupe du Kef, à la Troupe de la Ville de Tunis et au Théâtre national de la même façon et avec la même intensité que pour celles des autres, produites par ces structures lorsqu'elles étaient sous sa direction. Et s'il a connu le succès et acquis une grande réputation dans le monde arabe en tant que metteur en scène qui a dirigé des stars dont Mahmoud Yassine à l'apogée de sa carrière, il a également inscrit son nom dans l'indélébile histoire du quatrième art tunisien, en tant qu'initiateur des troupes régionales (Le Kef et Gafsa) où il a révélé des talents aussi jeunes que lui à l'époque, concurrençant le monumental Aly Ben Ayed et son intouchable TVT. A Moncef Souissi on doit aussi (autant qu'à Béchir Ben Slama, ministre de la Culture au début des années 1980) la création du Théâtre national et des Journées théâtrales de Carthage qui ont perdu de leur éclat et de leur rayonnement depuis qu'ils ont cessé d'être sous sa houlette. En effet, on pouvait reprocher à cette dynamo un certain classicisme (est-ce une tare?), ses «accointances» avec le pouvoir (pouvait-on être efficient avant 2011, en étant de l'autre bord?). Mais c'est par sa volonté, son altruisme et son désir de servir le secteur et de le valoriser ici et ailleurs que le Théâtre national et les JTC ont constitué des marques relevables dans le paysage culturel tunisien, arabe et africain. Car de son temps, tous les grands noms cherchaient à être présents dans les Journées pour lui et pour la Tunisie et parce que surtout, ils étaient si bien accueillis et parce que Moncef Souissi savait pallier la limite des moyens par une bienveillance et des attentions particulières que seul un vrai animateur connaît les secrets. Aussi et sans exagération aucune, nous pouvons affirmer que les JTC sont devenues orphelines, alors que Moncef Souissi était encore en vie. Et d'évoquer les dernières Journées cinématographiques de Carthage qui viennent d'ètre clôturées pour avoir une pensée à l'adresse de Rchid Ferchiou qui, à l'image de Moncef Souissi pour les JTC, a donné à cette manifestation ses meilleures sessions et sa plus belle aura, grâce à son caractère passionné, ses relations, sa prestance et sa résistance au populisme et à la désinvolture de mauvais aloi.