Avoir moins de 30 ans, s'appeler Hiba, un nom qui veut dire «offrande», être artiste et vivre dans un pays en guerre, ce n'est pas un cadeau. Il faut tordre le cou au destin. Hiba Mahrez est une jeune dramaturge syrienne qui a fait ses études à Damas, à l'Institut supérieur d'art dramatique, spécialité critique et recherches théâtrales. Diplômée en 2013, elle s'est tout de suite attaquée au «Pigeon», le fabuleux roman de Patrick Süskind. Cette adaptation a servi à un one man show du genre «Physical Theater» (*), où le personnage raconte, sans aucune parole, ce voyage glissant à l'intérieur de soi. En 2015, Hiba réalise une adaptation libre, intitulée «Al Ferdaous» d'après «Dumb waiter» d'Harold Pinter (écrivain, metteur en scène et dramaturge britannique). Ces deux expériences ont suffi pour que la jeune dramaturge se rende compte que le métier qu'elle a choisi est synonyme d'impatience. Pour qu'une création aboutisse, il faut, bien entendu, un budget, un espace pour les répétitions et peut-être bien un autre pour les représentations. Et dans un pays comme la Syrie, il faut surtout apprendre à détourner la censure. Les théâtres à Damas, tels qu'El Hamra, El Kabbani et la Maison de l'Opéra appartiennent à l'Etat et il faut être super connu ou pistonné pour y avoir droit. Sans les subventions de certains fonds comme «El Mawred», «Afak» ou «Artistes citoyens», les nouveaux ressortissants de l'institut n'ont aucune chance de faire leur théâtre. «Il existe deux salles à l'Institut d'art dramatique, que nous pouvons utiliser. Mais cela dépend de la générosité des directeurs et de leurs humeurs», nous dit Hiba. Et d'ajouter : «pour échapper à la bureaucratie, ses lenteurs et ses rouages, nous avons souvent recours aux espaces alternatifs, tels que les salles de sport que nous louons avec nos propres moyens. Faut-il encore avoir l'autorisation des services de sécurité». Dans le contexte actuel du pays, la situation de l'artiste syrien a, vraisemblablement, empiré. D'autant plus, que depuis bien longtemps, un texte validé par la commission de censure, peut être interdit par celle qui est censée donner le visa de représentation. «C'est dur de travailler, en ayant dans la tête que le spectacle ne verra peut-être jamais le jour». La jeune dramaturge nous informe, également, qu'il n'existe aucune loi qui autorise la création d'une troupe privée. La dernière édition du Festival du théâtre de Damas a eu lieu en 2010. Pour les professionnels du domaine, c'est une fenêtre sur le monde de la créativité théâtrale qui a été fermée. «Nous n'avons plus aucun moyen de découvrir de nouvelles expériences, pour nous rafraîchir et nous renouveler», avoue l'artiste. Surtout, ajoute-t-elle, que le théâtre, en Syrie, est resté coincé dans une même vision : le réalisme. La vie est devenue insoutenable sur tous les plans. L'idée de partir a commencé à trotter dans la tête de la dramaturge. Celle-ci obtient une bourse d'études à Lyon. Après les attentats de Paris, la moitié de la bourse lui a été retirée. Et comme elle n'avait pas les moyens de prendre en charge son hébergement et tout le reste, elle a décidé de changer de direction et d'aller à Istanbul. Mais là-bas aussi, la vie n'est pas facile. Les artistes réfugiés ont essayé de se regrouper et de s'intégrer dans le domaine, en vain. Il est difficile de communiquer avec les gens du théâtre turc. 90% d'entre eux ne parlent pas anglais. Il n'y a aucune possibilité d'aide financière et le secteur théâtral en Turquie n'est pas non plus structuré. Pour survivre, Hiba écrit dans quelques journaux arabes. Elle vient de publier une série d'articles sur «le corps dans le théâtre de Saadalah Wannous (1941-1997), critique littéraire et dramaturge syrien». Faisant preuve de créativité, elle a réussi à obtenir l'aide financière d'un fonds syrien pour la culture indépendante, qui lui permettra de finir une recherche sur «les syriens à l'étranger». (*) «Physical Theater» est un genre de représentation théâtrale qui poursuit la narration par des moyens essentiellement physiques.