Alors que la Tunisie vient d'accueillir une mission conjointe du Groupe d'Action Financière (GAFI) et de l'organisation régionale MENAFATF, les inquiétudes montent autour d'un éventuel retour du pays sur la liste grise, voire noire, des juridictions à haut risque en matière de blanchiment d'argent et de financement du terrorisme. Des dispositifs en place, mais une efficacité à renforcer L'économiste Ridha Chkoundali, professeur d'économie et observateur averti des politiques financières tunisiennes, tire la sonnette d'alarme. Il déplore avant tout l'absence totale de communication officielle sur cette visite. "Nous n'avons eu droit qu'à des fuites... Celles-ci laissent entendre que certaines législations tunisiennes, ainsi que nos mécanismes de surveillance financière, n'ont pas convaincu les experts du GAFI", a-t-il affirmé, lors de son passage ce mercredi 4 juin sur Express Fm. Selon lui, les signaux d'alerte sont clairs : si rien n'est fait, la Tunisie pourrait être réinscrite sur la liste grise dès 2026, voire sur la liste noire, un scénario qui aurait des conséquences lourdes pour le système financier national. Ridha Chkoundali insiste cependant sur les efforts entrepris par la Tunisie ces dernières années. Il cite notamment la création récente d'une structure spécialisée au sein du Conseil du marché financier, dédiée à la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme, ainsi que le rôle actif de la Banque centrale dans ce domaine. "Nous avons des dispositifs solides et une volonté claire de conformité. Je ne pense pas que nos mécanismes soient inadaptés. Mais il faut reconnaître que des signaux inquiétants persistent", a-t-il estimé. Argent liquide, marché parallèle... Parmi ces signaux, l'économiste pointe la recrudescence des transactions en espèces dans l'économie tunisienne, et en particulier sur le marché parallèle, où les devises circulent abondamment en dehors des circuits réglementés. "Le retour de l'économie informelle, la nouvelle législation sur les chèques et l'absence de plafonnement réel sur les paiements en liquide créent un terreau fertile pour les suspicions", prévient-il. Il dénonce par ailleurs ce qu'il considère comme un recul législatif. Le nouveau texte sur les chèques, selon lui, revient sur des acquis importants, notamment l'interdiction des paiements en espèces supérieurs à 5000 dinars instaurée pour favoriser la traçabilité. "On essaie de faire plaisir à certaines catégories économiques en assouplissant les règles, mais cela fragilise la crédibilité du pays face aux organismes internationaux", a-t-il expliqué. Face à cette situation, Ridha Chkoundali propose une solution controversée, mais, selon lui, nécessaire : une amnistie fiscale ciblée. Elle viserait à intégrer dans le circuit formel les importantes sommes d'argent circulant en espèces, notamment en devises, sur le marché noir. "Il y aura forcément des doutes sur l'origine des fonds et cela pourrait mener à une inscription temporaire sur la liste grise. Mais une fois ces montants réinjectés légalement dans les banques, les bénéfices pour l'économie tunisienne seraient indéniables", a-t-il expliqué. Sur le plan économique plus global, Chkoundali se montre sceptique quant à la possibilité d'atteindre les objectifs de croissance fixés par le gouvernement pour 2025. "L'objectif annoncé de 3,2 % me semble irréaliste dans les conditions actuelles. Si nous atteignons ne serait-ce que la moitié, ce serait déjà un bon résulta", a-t-il affirmé. Il attribue cette situation à ce qu'il appelle "des lois improvisées, sans vision à long terme", qui découragent les investisseurs et compliquent l'environnement des affaires. Face à cette situation, il appelle à une action rapide et coordonnée de la part des autorités tunisiennes, et en particulier de la Banque centrale. "Il est impératif que la BCT communique officiellement sur les raisons de la visite du GAFI et sur le plan d'action que le pays entend suivre. Le silence est notre pire ennemi dans ce contexte", a-t-il martelé. Pour lui, la clé réside dans la création d'un climat des affaires stable, transparent et attractif, tant sur le plan fiscal qu'administratif. "C'est le comportement de l'investisseur local qui conditionne la venue des investisseurs étrangers. Il faut d'abord rassurer les Tunisiens avant d'espérer séduire les partenaires internationaux", a-t-il encore précisé. Pour mémoire, la Tunisie avait été inscrite sur la liste noire du GAFI en février 2017, puis sur la liste grise en octobre 2018. Un plan d'action ambitieux, adopté en 2018, avait permis une sortie officielle en octobre 2019. Mais cette dynamique semble aujourd'hui menacée par une série de reculs réglementaires et un retour en force de l'informel, dans un contexte économique et politique tendu.