Le chef du gouvernement invité par l'AMT à avaliser les candidatures qui lui ont été soumises par l'Instance provisoire de l'ordre judiciaire (Ipoj) pour compléter la composition du Conseil supérieur de la magistrature L'Association des magistrats tunisiens mobilise ses troupes On croyait l'affaire de la création du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) résolue à la suite de l'élection en octobre dernier des membres de ce même conseil, qui a compté parmi ses membres élus certains magistrats taxés d'«anciens comploteurs contre l'Association tunisienne des magistrats (AMT) en 2005» à l'époque où elle était dirigée par le magistrat Ahmed Rahmouni, aujourd'hui président de l'Observatoire tunisien pour l'indépendance de la magistrature (Otim). On se rappelle encore la déclaration de la magistrate Kalthoum Kennou, présidente de l'AMT lors des premières années de la révolution et candidate malheureuse à l'élection présidentielle de novembre 2014, qui soulignait, en acceptant difficilement sa défaite: «Je suis très heureuse de ne pas être élue. Tout simplement parce qu'il m'est un affront insupportable de siéger aux côtés d'un ancien comploteur (allusion faite au juge Khaled Abbès) qui appliquait les ordres de Ben Ali et qui a conduit le complot contre l'AMT en 2005. Aujourd'hui, lui et plusieurs des juges soumis à Ben Ali reviennent au-devant de la scène et sont même élus au sein du CSM, ce qui augure que le conseil ne sera pas indépendant et qu'il sera sous la coupe du gouvernement». La déclaration de Kalthoum Kennou et les rapports de l'Observatoire tunisien pour l'indépendance de la magistrature ainsi que les différentes motions issues des conseils nationaux de l'AMT annonçaient déjà la crise dans laquelle se débat aujourd'hui le Conseil supérieur de la magistrature marquée par la méfiance caractérisant les rapports gouvernement-magistrats. Et survint la polémique qui a opposé le magistrat Khaled Abbès au ministre de la Justice, Ghazi Jeribi, qui a refusé d'accorder une prolongation au magistrat pour qu'il puisse être désigné à la tête du Conseil supérieur de la magistrature, Khaled Abbès ayant désavoué publiquement le ministre en déclarant sur une radio privée qu'il n'a jamais demandé une prolongation et que Ghazi Jribi n'a fait qu'obéir à des ordres d'une partie politique (qu'il ne nomme pas) qui serait contre l'éventualité d'une décision de prolongement en sa faveur. Le résultat est là : aujourd'hui et avec l'expiration du délai constitutionnel de l'entrée en fonction, soit le 14 décembre, on se retrouve avec un Conseil supérieur de la magistrature avec des membres qui ont prêté serment devant le président de la République mais sans les membres candidats à la présidence du Conseil que devrait désigner la présidence du gouvernement. Vendredi, l'Instance provisoire de l'ordre judiciaire (Ipoj) a appelé dans un communiqué le chef du gouvernement «à publier les décisions de candidatures dont dépend juridiquement l'instauration du Conseil». L'Ipoj fait remarquer dans son communiqué : «La polémique provoquée à propos des décisions de candidature proposées par l'instance et les tentatives jetant le doute sur ses attributions en la matière, visent à légitimer l'intervention du pouvoir exécutif dans les désignations à caractère judiciaire, ce qui constitue une menace pour les acquis réalisés depuis la création de l'Ipoj». Le communiqué dénonce également ce qu'il appelle «les interventions du ministre de la Justice dans le processus d'instauration du Conseil supérieur de la magistrature». «Le ministre, précise le communiqué, pousse à la tenue de réunions de certains membres du Conseil en dehors des structures légales (c'est-à-dire l'Ipoj)», ce qui revient à dire que Ghazi Jribi est en train d'empiéter sur les compétences de l'Ipoj et de monter les membres de l'Instance les uns contre les autres. L'AMT s'invite à la polémique Et comme prévu, l'Association des magistrats tunisiens (AMT) s'est invitée à la polémique en publiant, le 2 décembre, une déclaration dans laquelle le bureau exécutif dénonce «les appels lancés au chef du gouvernement pour refuser de signer les décrets relatifs aux désignations dans les hautes fonctions juridiques conformément aux décisions de candidatures soumises par l'Ipoj. Ces appels constituent une incitation à violer la Constitution, la loi et le principe de la continuité de l'Etat et sont à même de porter atteinte à l'indépendance de l'institution judiciaire et à ses acquis réalisés depuis la révolution». L'AMT rappelle que les candidatures proposées par l'Ipoj ont été soumises à la présidence du gouvernement depuis novembre dernier et précise que le retard pris par le chef du gouvernement à avaliser les propositions en question «ne fait que repousser l'instauration du Conseil supérieur de la magistrature et par conséquent la naissance officielle de la Cour constitutionnelle dont quatre membres seront désignés par le CSM aux côtés des autres membres qui seront proposés par les présidents de la République, du gouvernement et du Parlement». Hier, l'AMT est revenue à la charge en invitant son conseil national à une réunion d'urgence «pour examiner les derniers développements relatifs à la mise en place du CSM». Raoudha Karafi, présidente de l'Association, estime que «la cérémonie de prestation de serment tenue mercredi 14 décembre au palais de Carthage sous la présidence du chef de l'Etat ne devait pas avoir lieu tant que la composition du CMS n'est pas complète». Que vont faire les magistrats de l'AMT (ceux du syndicat ne se sont pas encore manifestés) pour obliger le gouvernement à accélérer la publication des décrets relatifs aux candidats désignés par l'Ipoj? «Aujourd'hui (hier), nous allons définir les formes de protestation contre l'inertie du gouvernement», répond Anas Hamadi, vice-président de l'AMT.