«Les groupes terroristes sont transnationaux. C'est l'islamisme qui reste la référence et non pas le pays en question. Ces terroristes ne s'identifient pas à des pays, mais agissent au nom de la Oumma», souligne le politologue Hatem M'rad Inutile de se voiler la face. A chaque fois qu'une attaque terroriste est perpétrée dans le monde, les Tunisiens retiennent leur souffle. A raison d'ailleurs, car de nombreuses fois un « fils maudit » était responsable d'attentats d'ampleur. Une fois encore, l'attaque au camion bélier à Berlin, il y a trois jours, fauchant sur son passage 12 vies humaines, et blessant 48 personnes, serait commise par un Tunisien. Suspect n°1, Anis Amri est activement recherché par la police allemande. Mis à part les plaisantins qui s'amusent à inventer blagues et boutades qui font rire malgré leur cynisme, du genre « nous, Tunisiens, allons être bientôt répudiés de la planète terre», ou encore « je suis Wallah Khatini » (je jure que ce n'est pas moi), l'embarras, l'inquiétude, la peur sont palpables dans les discussions et les commentaires sur les réseaux sociaux. On s'inquiète de la situation de la diaspora installée en Europe, des jeunes étudiants, par définition, fragiles et vulnérables, on se pose des questions sur notre liberté de circulation et on s'alarme sérieusement quant à l'image de la Tunisie qui peine à se redresser. Avons-nous raison de nous inquiéter ? Mise à part l'extrême droite européenne qui instrumentalise à son compte chaque nouvelle tragédie pour fustiger les politiques migratoires des gouvernements en place et capter au passage quelques parts du marché électoral, qu'en est-il des autorités et des populations, font-elles l'amalgame entre la nationalité d'un terroriste, ses origines et sa motivation ? Le terrorisme est cosmopolite Non, répond confiant le politologue Hatem M'rad, le jihadisme islamiste est cosmopolite. Les Occidentaux le savent, ils sont bien informés. S'ils prennent des précautions, ce n'est pas contre un pays déterminé, mais contre des risques, a-t-il estimé. Dans les aéroports, les Tunisiens contrôlés ne viennent pas de Tunisie ou pas uniquement mais surtout en provenance des vols du Proche-Orient et d'Egypte. Et de renchérir, les terroristes sont aussi français, d'origine tunisienne ou algérienne ou autre. Dans la conscience européenne, selon l'universitaire, les Tunisiens sont des pacifistes. Paradoxalement, ils ont produit des jihadistes en nombre. Ce serait le fait de causes lointaines. N'empêche, ce sont les déclarations officielles données par les diplomates, les politiques, et par les grands chefs d'Etat favorables à la Tunisie qui restent décisives. Sur les conséquences économiques du terrorisme, notre interlocuteur minimise les risques ; « le soutien exprimé envers la Tunisie s'est traduit par l'arrivée massive des investisseurs à la conférence Tunisie 2020. Même si la confiance n'est pas totale, elle reprend. La Tunisie a franchi des caps, elle est en train de maîtriser sa crise et de remonter la pente. L'image envoyée est celle d'un pays en train de réussir sa transition démocratique, a-t-il rassuré. Les jihadistes parlent de Oumma Et qu'en est-il sur le plan intérieur, une partie de la population laisse voir son malaise à chaque fois qu'un Tunisien est impliqué dans une attaque terroriste ? Question de La Presse. « Ce sont des réactions instinctives qui font réagir la conscience collective. Les Tunisiens ont peur pour leurs intérêts, de voir leur liberté de voyager limitée, par exemple. Mais honnêtement, dans les faits, interroge-t-il, ont-ils été visés par des mesures restrictives, par des sanctions internationales par les Etats touchés ? C'est la doctrine meurtrière qu'ils cherchent à combattre, la nationalité est effacée. Ce sont des démocraties enracinées où on fait la part des choses, a-t-il tenu à faire valoir. « De plus, le risque zéro n'existe pas, personne n'est à l'abri, les populations occidentales le savent, elles ont pris conscience que le jihadisme n'est pas attaché à un seul pays. La Tunisie est en guerre contre les terroristes tunisiens ou étrangers. Les Européens le savent. Tout le monde est logé à la même enseigne. Les groupes terroristes sont transnationaux. C'est l'islamisme qui reste la référence et non pas le pays en question, la Tunisie ou le Maroc. Ces terroristes ne s'identifient pas à des pays, mais agissent au nom de la Oumma, analyse professeur M'rad. L'Europe est en train de payer les frais de sa politique menée en Syrie. Les attentats se sont intensifiés depuis que le groupe terroriste Etat islamique est vaincu, les jihadistes ont commencé à cibler les puissances occidentales ainsi que la Russie qui « l'a payé cash par l'assassinat de son ambassadeur en Turquie ». Ces derniers temps, la stratégie de Daech est de frapper les pays européens responsables de leur déconfiture en Syrie, estime Hatem M'rad, ça ne veut pas dire que la Tunisie est l'abri, prévient-il, les jihadistes sont des ennemis de l'Occident démocratique, moderne, mais ils sont aussi ennemis de la transition démocratique tunisienne qu'ils veulent paralyser, lui créer des obstacles, il ne faut jamais l'oublier, a-t-il conclu. Si l'analyse est convaincante et le propos très rassurant, il n'en reste pas moins qu'à chaque fois qu'un Tunisien est responsable de massacres commis en Syrie, en Allemagne ou ailleurs, on ne peut s'empêcher de ressentir de la honte liée à un sentiment de culpabilité.