Selon toute vraisemblance, il n'y aura pas un dépouillement isolé des bulletins de vote des sécuritaires et des soldats. Les urnes seront mises de côté jusqu'à la fin de l'opération de vote puis les bulletins de vote seront mélangés avec ceux des autres citoyens Lors d'une rencontre sur le thème de « la préparation du processus électoral municipal et régional » organisée mercredi à l'Ecole politique Tunis (Tsop) relevant du Centre des études méditerranéennes et internationales, le président de l'Isie, Chafik Sarsar a indiqué que le code électoral sera très probablement publié aujourd'hui (vendredi) au Journal officiel. Dès lors, il sera effectif. Après plusieurs mois de blocage, le texte a été enfin adopté le 31 janvier dernier à une écrasante majorité. « Comme par magie, un consensus a été trouvé et la version finale bouclée en moins d'une heure », commentera Abderrazak El Mokhtar, maître de conférences en droit public à l'université de Sousse. L'incroyable consensus entre Ennahdha et Nida avait en effet été trouvé sur un sujet qui continue à diviser malgré l'adoption, celui du vote des sécuritaires et de l'armée aux élections locales. La version finale de l'article 6 de l'amendement de la loi électorale leur donne ainsi le droit de voter « uniquement » lors des élections locales. S'il s'est dit prêt à respecter ce droit, le ministre de la Défense nationale, Farhat Horchani, n'a pas caché, il y a quelques jours, son scepticisme par rapport à cette disposition. « Il aurait été plus sage de reporter l'adoption d'un tel article », a-t-il déclaré à l'occasion d'une conférence de presse à l'Assemblée des représentants du peuple. Son souci principal est d'éviter à tout prix que ce droit « porte atteinte à la sûreté nationale ». On marche sur des œufs Aujourd'hui, la balle est renvoyée à l'Isie, qui devra organiser cette opération sans mettre en péril l'ordre public. Plusieurs problématiques justifient la crainte des observateurs. Nous savons que les sécuritaires et les militaires sont très souvent mobilisés en dehors de leurs lieux de résidence, comment vont-ils pouvoir voter le jour du scrutin ? Comment éviter un transfert frauduleux de ce corps d'électeurs lorsqu'on sait que la majorité d'entre eux ont comme adresse sur leurs cartes d'identité « le ministère de l'Intérieur » ou « le ministère de la Défense » ? Lors des proclamations des résultats va-t-on révéler qu'une caserne a voté pour la droite et que l'autre a voté pour la gauche au risque d'entamer la réputation de neutralité ? Et enfin, comment est-ce que les candidats vont-ils faire campagne auprès d'eux ? Toutes ces questions tourmentent la classe politique et la société civile. Mercredi, le président de l'Isie a apporté quelques éclaircissements par rapport à ces questions et a notamment expliqué que le vote de ce corps électoral sera ouvert quelques jours avant le scrutin, afin de respecter la particularité du métier. « Par principe de neutralité, il ne devrait évidemment pas y avoir de centres de votes à l'intérieur des casernes ou des postes de police, précise le professeur Abderrazek El Mokhtar. Mais à ce moment-là, il faudrait être vigilant et sécuriser les points de vote, car nous savons que les forces armées sont ciblées ». Quant au transfert d'électeurs, il rassure, tout électeur (et les sécuritaires et militaires ne font pas exception) devra, lors de son inscription sur les listes électorales, apporter un « justificatif de domicile ». La carte d'identité nationale fait cependant foi lorsque l'adresse y est inscrite avec précision. Mélange des bulletins Mais c'est l'après-scrutin qui inquiète plus sérieusement. La proclamation des résultats des élections locales (municipales ou régionales) placera forcément les forces armées quelque part sur l'échiquier politique. Pire, le risque est de voir une classification des régions et des municipalités selon les affinités politiques des forces armées. « Si l'Isie, et c'est ce qu'elle fera certainement, opte pour un mélange des bulletins de vote, il sera très difficile de déterminer la couleur politique des forces armées, et c'est tant mieux », tempère Abderrazak El Mokhtar. En clair et selon toute vraisemblance, il n'y aura pas un dépouillement isolé des bulletins de vote des sécuritaires et des soldats. Les urnes seront mises de côté jusqu'à la fin de l'opération de vote (c'est-à-dire jusqu'au jour scrutin), puis, les bulletins de vote seront mélangés avec ceux des autres citoyens. Pour l'instant, l'Isie ne s'est pas clairement prononcée sur l'organisation des bureaux de vote et leur rattachement aux Instances régionales indépendantes pour les élections (Irie). Néanmoins, Chafik Sarsar a esquissé un schéma dans lequel chaque Irie aura des « coordinateurs » locaux. Même si elle leur octroie le droit de vote, la loi électorale leur interdit catégoriquement de participer ou même d'assister à une quelconque campagne électorale. En clair, un policier ou un soldat, même s'il est électeur, n'a pas le droit de se retrouver dans une réunion publique où un candidat dévoile les détails de son programme. « C'est un peu comme jeter quelqu'un dans la mer et lui dire de ne surtout pas se mouiller », ironise Abderrazek El Mokhtar. De son côté, la députée Leila Chettaoui (Nida Tounès), membre de la commission de la sécurité et de la défense, n'y voit pas de contradiction. « C'est la droite ligne de l'idée de neutralité », dit-elle. D'après Chettaoui, il n'y a pas que les meetings politiques pour s'informer des programmes. « L'électeur des forces armées peut très bien recevoir comme tout le monde un manifeste électoral dans sa boîte aux lettres, s'informer à travers les réseaux sociaux, ou en sirotant un café avec les copains », explique-t-elle. Les sécuritaires et les militaires représentent approximativement 150.000 électeurs selon Jalel Ghdira (Nida Tounès), député et membre de la Commission de l'organisation de l'administration et des affaires des forces armées, un chiffre qui n'est pas négligeable pour des élections municipales. « Dans certaines circonscription municipales, il n'y aura peut-être que 1.500 électeurs, inutile de dire qu'une centaine d'électeurs peuvent faire vaciller les résultats ».