Les discussions engagées depuis trois jours sont marquées par un contexte nouveau, à la faveur duquel les négociateurs pourraient créer la surprise... Mais d'anciennes difficultés demeurent, toujours aussi redoutables et incontournables ! Jeudi dernier 23 février a été ouvert à Genève le 4e round des négociations relatives à la sortie de crise en Syrie. Les précédents rounds se sont tous les trois soldés par un échec et celui-ci, bien que précédé par deux rencontres préparatoires à Astana (Kazakhstan), fait l'objet d'une prudence très marquée quant à ses résultats. C'est en tout cas ce qui ressort des déclarations de l'envoyé spécial de l'ONU, Staffan de Mistura, pour qui il ne faut pas s'attendre à des percées majeures à l'occasion de ce rendez-vous. Signalons tout de même que les négociations entre les différentes délégations, qualifiées ici ou là de «laborieuses», doivent en principe se poursuivre jusqu'au 3 mars. Ce qui laisse du temps à des avancées. Mais il y a aussi une nouveauté : la délégation de l'opposition, emmenée par Nasser Hariri, est le dos au mur et n'a plus intérêt à quitter la table des négociations dans l'espoir d'un renforcement de ses positions sur le terrain. Dans l'état actuel des choses, les forces du régime ont acquis un avantage très net, soutenues de façon énergique par la Russie. D'autre part, le soutien des Etats-Unis en faveur des rebelles, dont le moins qu'on puisse dire est qu'il n'était pas franc du temps de l'administration Obama, est devenu tout simplement hypothétique avec l'arrivée de Trump. Personne ne comprend très bien le type de relations qui prévaut désormais entre Washington et Moscou : ce qui est sûr, c'est qu'un réchauffement est d'autant plus possible qu'il a été annoncé lors de la campagne électorale du nouveau président américain. Dans ces conditions, les rebelles ne savent plus dans quelle mesure ils peuvent encore compter sérieusement sur l'allié américain... Cette nouvelle posture de l'opposition syrienne, et son engagement plus résolu dans le processus désormais politique du bras de fer avec le régime, on peut le deviner à travers la demande exprimée par la délégation de l'opposition de mener des négociations directes, en face-à-face avec la délégation gouvernementale. Ce qui n'était pas le cas dans le passé. Et ce qui, incontestablement, peut jouer en faveur d'un scénario de discussions débouchant sur des résultats tangibles. Voilà pour ce qui permet l'optimisme au sujet des présentes négociations. Mais les raisons qui dictent la prudence sont toujours là. Rappelons les points à l'ordre du jour de la rencontre, en vertu de la résolution 2254 du Conseil de sécurité, adoptée à l'unanimité en décembre 2015 : les modalités de la future gouvernance en Syrie, la rédaction d'une nouvelle Constitution et la tenue d'élections sous la supervision des Nations unies. Le gros de la difficulté réside dans le troisième point : quelle place accorder à Bachar Al-Assad dans la transition ? Pour les uns, l'actuel président doit impérativement aller au bout de son mandat de quatre ans et disposer du droit de se présenter aux élections suivantes. Moscou reprend entièrement à son compte cette position, dont elle fait un élément essentiel de la poursuite de la guerre contre le terrorisme en Syrie. Mais l'opposition syrienne dénonce de son côté une «transition de façade» à propos de ce scénario. Le dilemme est-il nouveau ? Certainement pas. Et la Tunisie est très bien placée pour savoir que, en cette affaire, il ne faut pas vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué. Rappelons-nous : il y a presque 5 ans jour pour jour, le 24 février 2012, était organisée à Tunis, à Gammarth plus précisément, la première réunion d'un groupe de pays baptisés «Amis de la Syrie». En accueillant sur son sol cette initiative diplomatique, notre pays, dirigé alors par la Troïka (Ennahdha, CPR et Ettakatol), se plaçait en tête des nations qui considéraient que la tournure des événements en Syrie dictait que toute solution de la crise passait nécessairement par la mise à l'écart de Bachar Al-Assad. On a vu par la suite que l'entrée en scène, fracassante, effrayante, d'un acteur inattendu sur la scène géopolitique du monde arabe — le terrorisme jihadiste — devait modifier complètement la donne : elle a offert une légitimité nouvelle au président syrien et l'initiative partie de Tunis s'est rapidement essoufflée, sous les coups de boutoir d'une contre-offensive qui l'accusait de pactiser secrètement avec le nouveau venu, de faire sciemment ou non le jeu du terrorisme... Aujourd'hui, les autorités tunisiennes envisagent la possibilité de rétablir des relations diplomatiques avec Damas. Ce qui, en bonne logique, ne devrait cependant pas intervenir avant l'annonce d'un accord intersyrien sous l'égide de l'ONU. Et même, précisons-le, dans l'hypothèse où l'actuel président syrien était maintenu à son poste conformément à ces accords. Ce camouflet diplomatique n'a pas manqué d'avoir des retombées sur la scène de la politique nationale, mais on voit que le maintien au pouvoir de l'actuel président syrien représente toujours l'obstacle majeur des négociations engagées actuellement à Genève... Un obstacle tel que l'émissaire de l'ONU préfère prévenir l'opinion à son propos qu'il risque de ne pas y avoir de percée importante dans l'immédiat.